Route, janvier 2015

  

 

 

 LA ROUTE SOUS LA NEIGE

 

 

L’hiver arrive, l’hiver commence. Avec la neige tout se resserre. La route se resserre, qu’on ne voit plus que dans un encadrement de glace et d’arbres croulants. On sent que tout cela pourrait facilement s’effondrer : la route, les arbres, la montagne même qui nous surplombe et qui semble si imposante avec ces glaciers, ces airs de banquise verticale ou d’iceberg à la dérive, cette sauvagerie qu’on ne lui connaissait plus. On se fait petit. On courbe la carrosserie. On se faufile en silence sous les frondaisons. On est tendu, d’une tension qui ne permet pas l’attention. On voit sans regarder la brume qui flotte dans la combe blanche que barrent les fils électriques eux-mêmes alourdis de neige et prêts à casser, et ce tunnel d’arbres enneigés et de traits gris que percent à travers la forêt le bitume sombre et la lueur des phares.

Disant cela je vois quand même, et je sens que quelque chose se détend − un peu comme quand, en montagne, pris de vertige, je sors mon appareil photo et photographie le vide. 

Le vide : il n’y a plus rien après le virage. Plus de paysage. On tombe dans le blanc. On acquiesce à la chute.

Parfois on croise et l’on frôle une voiture. On pense à l’accident, à la glissade. (On y pense avec légèreté car, à vrai dire, on a connu bien pire. Ce n’est qu’une petite chute de neige, une situation ordinaire en montagne fin janvier.)

Cette fois même la haie de saules têtards ne se distingue pas du reste de la forêt : blanc partout. (Cela ne durera pas : au retour la neige sur les branches orange aura fondu et les saules seront d’autant plus flamboyants.)

Neige et brouillard. Si j’écrivais un poème je me contenterais sans doute de répéter : blanc, blanc, blanc (avec tout de même le feu orange clignotant, un panneau rouge, la route sombre et les traits noirs des branches). 

Silhouette pliée en deux sur le bas-côté, un homme dégage le chemin de sa maison. 

Je bifurque. Pas de cerfs, pas d’oiseaux, aucune bête, mais des flocons. Il neige de plus belle dans la lumière jaune des réverbères. Il neige sur Arvillard. Les gyrophares du chasse-neige font reluire le calvaire. 

Cette balade automobile et neigeuse n’est pas un calvaire ! Il neige. J’avance bien, j’avance hardiment. Il neige, la route est belle. Il neige de plus belle. On écrira tantôt des haïkus sur la neige. Cette descente en est le premier verset : la route sous la neige…

 

20 janvier 2015

 

Ce contenu a été publié dans 2015. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.