Route, juin 2016

 

 

LE LABYRINTHE

 

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Si mes quatre pneus étaient maculés de goudron liquide, gonflés d’une encre indélébile ou, mieux, recouverts de peintures rouge, bleue, jaune et verte qui picturalement proclameraient la polychromie du monde, mes traces superposées auraient fini par recouvrir la route, comme sur les parois de Rouffignac ces lignes mystérieuses que les préhistoriens désignent sous le vocable de « spaghettis ». On verrait clairement ce que je ne fais qu’entrevoir ou rêver : la route-labyrinthe.

Cette vision m’est venue brutalement, comme un éclair, à cause du « Petit labyrinthe harmonique » de Jean-Sébastien Bach que diffusait la radio au moment où j’arrivais à un endroit où des lignes de bitume sombre circulent sur la chaussée gris clair. J’en ai éprouvé un léger et assez plaisant vertige.

Je me suis tu. J’ai vu clairement que la route est un labyrinthe tendu entre deux impasses et dont on ne sort pas vivant. Les morts n’entrent pas, les vivants n’en sortent que morts, mais ce labyrinthe n’est pas tragique car il est dense et beau, défi aux lignes droites qui sont les seules mortifères, mélopée un peu triste mais vaste et apaisée, et dont les ornementations font comme des taches de lumière.

Thésée taiseux je roule, insouciant de la délivrance. À l’intérieur du labyrinthe s’ouvrent ces autres labyrinthes des ombres, des branches et des feuillages, des hautes herbes, des montagnes, des nuages. À l’intérieur encore s’enroulent les boyaux, les intestins, les lobes du cerveau. Et ça circule, ça bat, ça balance, parfois ça s’affole sans nul Minotaure, par pure peur de se perdre id est de sortir pour de bon, les pneus devant, du labyrinthe.

Le livre, ce n’était peut-être d’abord que pour tenter de mettre une illusion d’ordre dans tant de fouillis ; et puis, au bout du compte : un autre labyrinthe, dont les chemins détournés mènent peut-être, ne cherchez pas, vers un centre vide et lumineux.

J’ai roulé, un court moment, à travers cette lumière-là.

29 juin 2016

 

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