Vigie, juin 2017

 

 

 

L’ENTREPÔT

 

Vigiejuin201701

  

J’ai eu bien du mal à retrouver ce hangar situé au fond d’une zone industrielle désaffectée dans laquelle j’ai tourné longtemps en voiture et qui ne m’inspirait pas confiance. Un coupe-gorge, assurément. J’ai fini par reconnaître le rond-point, le tunnel, le grand mur de béton gris maculé de tags, et je me suis garé.

La dernière fois où je m’étais clandestinement glissé dans ces locaux interdits au public je n’avais rencontré personne, et j’avais pu repartir avec autant d’objets que je voulais ; mais cette fois, peut-être à cause des vols ou des dégradations, un gardien créole surveille l’entrée, qui m’apostrophe rudement avec l’accent guyanais. Je lui explique que je suis revenu récupérer quelques objets qui m’appartiennent, il se radoucit et même, m’accompagne à l’intérieur (je m’en serais bien passé).

Une fois franchie ce qui ressemble à une banale porte d’appartement, tout semble trompeusement plus doux et en assez bon état, malgré les éclats de verre et la crasse. Il y a de la moquette dans l’entrée, et la tapisserie tient encore. Voilà : je peux fouiller, maintenant. Tout est là, pêle-mêle, vide-grenier, capharnaüm. On trouve, jetés dans des caisses ou à même le sol, des souvenirs pas très anciens, appareil photo d’enfant, faux émoussée, cadres piquetés ; des souvenirs plus vieux, mange-disques orange, sacs remplis de cassettes, livres jaunis ; des souvenirs inventés.

D’abord je rassemble les livres, les Jules Verne, les Giono, aidé par le gardien créole qui prend la tâche à cœur et me conseille (« non, ça ce n’est pas la peine !… » dit-il à propos d’un ouvrage abîmé). Puis je trouve une peluche, une vieille peluche qu’à présent je ne reconnais plus, dont l’image même s’est déjà perdue de nouveau (et il faudrait, la prochaine nuit, que je retourne encore une fois dans l’entrepôt si je voulais la retrouver) mais qui, sur le moment, me fait fondre en larmes.

Je quitte l’entrepôt précipitamment, ne voulant plus rien emporter malgré les protestations du gardien qui court après moi en brandissant les sacs de souvenirs. « Cela fait trop mal, cela fait trop mal, je ne reviendrai pas ! », je lui crie – comme si on choisissait.

Je reviendrai pourtant dès la prochaine nuit.

 

11 juin 2017

 

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