Vigie, juin 2017

 

 

 

L’ORAGE

 

 Vigiejuin201706

 

L’éclair entre les barreaux. Les rafales. Les feuilles noires du lilas, puis l’éclair.

Depuis que je vis pour ainsi dire enterré dans cette Cave après avoir renoncé aux plus larges perspectives que m’offraient les Combles, je ne vois plus venir les orages. J’entends moins les bruits du monde, les bruits de la maison, qui ne me parviennent que très atténués, et si la gouttière n’était pas percée je ne saurais peut-être même pas qu’il pleut en ce moment à verse.

Cependant il faut sortir. L’orage n’est pas encore sur nous et il me faut amener Clément à un goûter au Pic de l’Huile avec ses camarades d’escalade. Je reste un moment avec lui à guetter le ciel de plus en plus sombre, jusqu’à ce que soit décidé le prévisible repli au gymnase ; après quoi je rentre seul dans la nuit de l’orage, le sax d’Art Pepper se mêlant aux crépitements.

Je ne peux pas dire que je savoure, ni que je suis gai ou triste, heureux ou malheureux. Je suis la route, je la prolonge en ralentissant et m’octroie même un détour. J’écoute le sax d’Art Pepper et la pluie, et je sens bien que cette musique-là n’est ni heureuse, ni malheureuse, qu’elle se fiche de cette sorte de distinction. Je sens bien que cela pourrait se prolonger sans fin. Juste un mouvement, un son entravé qui vibre assez librement comme le fait l’eau sur la vitre de la voiture et dans les ornières transformées en ruisseaux.

Je me gare devant la maison, à quelques encablures de la Cave dont j’aperçois la petite fenêtre aux barreaux noirs. L’averse est à présent si violente que je reste à l’intérieur. J’écoute encore la pluie, le sax, la pluie, le sax, puis rien que la pluie. Tout est brouillé. De la maison je ne vois qu’un lavis qui vire à l’abstraction, et je ne reconnais plus le poirier transformé en balai de sorcier. Je suis seul dans l’habitacle ainsi frappé par la pluie, bientôt la grêle.

L’éclair entre les barreaux. Les rafales. Les feuilles noires du lilas, l’éclair.

Cette attente alors me renvoie à une autre, en Guyane, où les averses si soudaines et si violentes souvent obligeaient à s’abriter ainsi. C’était, je m’en souviens assez, au mois de décembre, sur le parking de l’aéroport où j’attendais mes parents, venus voir Léo, deux mois à peine, pour la première fois.

Pour échapper au souvenir je quitte la voiture, cours – nage – jusqu’à la maison, et retrouve mon havre d’illusion.

 

14 juin 2017

 

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