Vigie, février 2020

 

 

 

Le vent

 

 

Vigiefevrier202002

 

Grand vent sur ces collines et dans nos arbres à rêves !

Vasca

 

Il souffle dans la nuit un grand vent tiède qui fait battre les volets, danser les arbres, et pénètre par effraction les chambres fortes des rêves dont il révèle les images. Ainsi réveillé à l’improviste, je constate sans surprise que, malgré les cinq années et quelques mois écoulés depuis sa disparition, c’est toujours ma mère que je file retrouver sitôt refermées les portes du sommeil – ma mère avec qui me voici en train de converser paisiblement, à l’ombre d’un cerisier en fleurs que je reconnais pour être celui du petit jardin des Eyzies-de-Taillac, en Dordogne. Dans le rêve le vent est une brise. C’est un moment très agréable, sans nulle tension ni conscience de la mort, tant son fantôme reste bienveillant. Je lui raconte en détail la progression de l’écriture du Livre de Madère : le dispositif narratif, les va-et-vient à travers les années, la dernière page écrite hier, et je lui donne des précisions que j’aurais vraiment aimé prendre en notes car elles portaient sur une partie du livre à laquelle je n’ai encore, dans cette vraie vie de la veille qui a pour seul mérite de laisser des traces plus sûres que la vie rêvée, pas encore commencé à travailler.

Je lui raconte aussi (c’est une autre histoire de vent) le concert de samedi avec Julien et Dimitri Bouclier au Théâtre Charles-Dullin de Chambéry, et constate avec stupeur qu’elle ne les a jamais vus sur scène. Je lui dis la force, la violence parfois déchirante de ce répertoire russe, « Goulag » de Victor Vlasov en solo à l’accordéon ou le « Rondo capriccioso » de Zolotarev en duo (que Léo ambitionne de jouer). Je lui dis mon émotion chaque fois réitérée devant la belle osmose fraternelle entre le violon, que je pratiquais dans l’enfance, et l’accordéon de concert, qui est devenu malgré mon peu d’habileté mon instrument d’adulte (toujours cette obsession de maintenir des liens entre le passé et le présent).

Ainsi le rêve permet-il de poursuivre l’échange post-mortem – mais je ne peux m’empêcher de déplorer, avec une tristesse infinie, le peu de nouvelles reçues en échange de celles que je peux donner, car le rêve, hélas, manque d’imagination.

 

Au matin je retrouve ce paysage de fin d’hiver de ma Vallée des Huiles, les grands champs jaune pâle détrempés, les vagues de gris qui parcourent le ciel, l’éclat de la neige sur la Chartreuse au loin, une trouée éclatante vers l’ouest. Léo, tout fiévreux, reste au lit avec la chatte Dana (février est le mois des fièvres). J’aime le vent, cet air humide, ces grands nuages gris qui rappellent la mer, et malgré la fièvre de l’enfant et l’anxiété habituelle, je ressens une sorte de légèreté liée sans doute au fait qu’hier j’ai écrit, avançant un peu le roman qui me sauve de l’insatisfaction, et parce que j’ai pu cette nuit revoir quand même ma mère.

 

 

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