Vigie, juin 2022

 

 

Le reflux

 

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Juin est le temps du reflux, juillet celui de l’échouage – en août on se remet à flot (on essaie).

Jour après jour les projets qui me portaient aboutissent, ce qui en soi est une excellente chose mais constitue une succession de petites fins qui m’épuisent. Le dernier concert avec l’Harmonie, avec le groupe de musique actuelle où je joue, pour la dernière année je crois, du sax ténor avec Clément à l’alto (j’arrive avec vingt minutes de retard alors que tous les musiciens sont sur scène parce que je n’ai pas arrêté de me tromper sur la route, pourtant facile, malgré l’aide du GPS). Devant les élèves je parle plusieurs heures durant des troubles du spectre de l’autisme, captant leur attention sans avoir besoin de forcer (ce qui tend à montrer que le propos fait sens pour eux) ; puis je joue de l’accordéon et du saxophone, à trois reprises, tremblant tant la première fois que je me résous à reprendre un bêtabloquant les suivantes, et je ressors rincé et soulagé, ma tâche accomplie – comme un saumon après le frais je peux aller me reposer dans les graviers ou bien finir entre les griffes d’un ours.

Mais ce n’est pas fini. En ce dernier samedi j’accompagne Clément à Lyon au concert d’Indochine devant près de 73 000 personnes. L’anxiété me tient éveillé deux nuits durant. Au retour, sorti de cette fosse marine géante où nous avons été ballottés plusieurs heures durant par les sons, les lumières, les visages, jusqu’au vertige, j’ai le dos douloureux et je crains de ne plus avoir la force de repartir affronter les dernières petites épreuves de juin…

Il y a pire que ces ultimes tâches, il y a le moment où elles seront toutes effectuées et où je n’aurai plus aucune raison de lutter contre le reflux de cette grande vague qui me portait jusqu’alors. Devant moi, plus de concert (si ce n’est, déjà noté sur l’agenda ainsi que je l’ai toujours fait, ceux de Thiéfaine au printemps 2023). Léo aura passé son Bac de français. Il restera peu de choses pour nourrir mes obsessions et me distraire du vide. Bien sûr, je continuerai à faire travailler les enfants, à travailler moi-même mon accordéon, à sortir, brosser et faire jouer Rimski, etc. Mais dans ce vide, repris par ce mouvement qui va me mettre la face dans le sable, je n’aurai d’autre choix que de me remettre à écrire : mon livre des trains, le livre de Madère, je crois que c’est l’urgence qui me fait mal aux reins.

À quoi bon accumuler tant de grandes joies et de petites détresses, tant de souvenirs souvent heureux et tant de rêves, si je n’écris pas ?

La vague laisse sur la plage un grand espace nu qui n’est fait que pour cela : écrire, dans le reflux.

27/06/2022

 

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