Vigie, septembre 2022

 

« Le droit du sol »

 

 

Toute la nuit je suis resté sous les combles à regarder le ciel zébré d’éclairs, à écouter l’averse qui grondait sur le toit de tôle, à rêver d’orages et de tempêtes de grêle roulant sur le sol noir. Au matin tout est redevenu calme. Le soleil fait fumer les champs et de grands nuages agrandissent le paysage. Deux gros escargots partent à l’assaut d’une façade du hameau voisin, où je croise M. Landaz qui me parle des travaux en cours et de l’ouverture de la chasse, dimanche prochain : « Il ne va pas falloir sortir le chien ! – Et bien, je lui mettrai un gilet orange… » Je ne peux que me désoler de ce que cette saison automnale, la plus douce et la plus poignante de toutes, soit aussi celle de la chasse, avec ses cohortes d’anciens dont on se demande si leur vue vieillissante leur permet encore de conduire une voiture mais dont personne ne met en cause le droit de manier des armes à feu.

On continue cependant, insouciants encore, sur le chemin qui s’assombrit à mesure que les nuages regagnent le ciel et qu’on s’enfonce dans la forêt. Avec la pluie les balsamines ont encore renforcé leurs positions : penchées sur le sentier, elles imposent leurs figures inquiétantes, leurs tiges hérissées, leurs fleurs blanches ou mauves qui piègent les insectes avec ce parfum fort qui certains jours m’enivre et d’autres m’insupporte. Ici la terre a été totalement retournée par les sangliers ; elle n’est pas blessée, pas labourée, juste délicatement retournée du bout du groin, et l’on voit qu’elle est très noire, très riche. Je pense au Droit du sol de Davodeau que je relisais cette nuit d’orage, à ses pages magnifiques sur la qualité du sol et sur la marche (« nous sommes faits pour cela ») – la marche en général et celle, surtout, que Davodeau entreprend pour tracer un lien symbolique entre la grotte ornée de Pech-Merle et le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure.

Une flaque dont la boue recouverte d’une fine couche d’algues semble dessiner une carte en relief m’arrête un moment. Les genoux dans la terre je la regarde de près, longtemps, promenade enchâssée dans la promenade comme le sont, à l’intérieur de la flaque, les reflets de la canopée.

03/09/22

 

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