Vigie, septembre 2022

 

Une rencontre

 

 

Aujourd’hui je pars avec la ferme intention de ne pas écrire. Repos. C’est vendredi, assez travaillé. Rimski, ne t’étonne pas : ton maître restera muet.

Je pars, donc, une main dans la poche et l’autre pour tenir la longe, et très vite me vient cette idée : et si c’était aujourd’hui que je rencontrais la salamandre ? Je suis prêt. L’esprit est ouvert, disponible. Juste avant de partir, j’ai aidé Reinhardt et Élodie à arracher les noisetiers du terrain d’Élodie, entreprise couronnée de succès, et l’effort de la pioche a achevé de me vider la tête. Ajoutons à cela ce temps plaisant, cet air léger : tout est prêt pour la rencontre.

Celle-ci survient presque aussitôt, sous la forme d’un serpent enroulé au milieu du sentier. Ce n’est pas le mot « serpent » qui me vient d’abord en tête, mais la sensation même du reptile, cet affolement de sentir par tous les pores de ma peau que l’inattendu tant espéré vient de survenir. Naturellement cela s’accompagne d’un flash mémoriel tout droit venu de la Guyane, où ce genre de rencontres était bien plus fréquent.

Un serpent, donc ! Rimski est passé sans lui prêter la moindre attention, mais moi je m’arrête, je regarde la petite langue bifide qui vibre au bout de la tête sombre. Larges écailles sur la tête, pupille ronde, c’est a priori une couleuvre – mais laquelle ? Je m’approche pour la prendre en photo, sans qu’elle daigne bouger. Craignant qu’elle ne soit blessée à cause d’un renfoncement au niveau du cou qui me semble suspect, je m’approche un peu plus, navré d’avance ; aussitôt la couleuvre se détend et file en sifflant se réfugier parmi les balsamines – en pleine forme. Je repars aussi content que lorsque, enfant, j’avais la chance d’observer n’importe quel animal parmi les rochers. Tous mes souvenirs de vipère et de couleuvres me remontent en mémoire, le boa qui avait mordu Patawa dans le jardin de Montjoly, les serpents lianes, les grages, les corails, les vipères aspics ou celles multicolores que je dessinais obsessionnellement dans mes cahiers vers l’âge de onze ou douze ans.

Il faut encore préciser ceci. Ce matin, j’ai fait en classe mon cours sur le langage poétique, et notamment la métaphore. À un certain moment j’enlève ma ceinture, je la jette au milieu de la classe, et, imitant Léo quand il était petit, je m’en empare, la fait onduler sur le sol puis la redresse devant un élève en disant : « Le serpent de ma ceinture va te mordre ! », façon de souligner à quel point le langage métaphorique est naturel à l’enfant. Ainsi cette rencontre me donne-t-elle l’impression que le comparant du matin, cet après-midi a pris vie.

Vive la poésie, vive la métaphore, et vivent ces rencontres sans lesquelles ces promenades répétitives pourraient peut-être finir par devenir lassantes.

 

13/09/22

 

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