La salle en février

 HAÏKUS DE FÉVRIER

Hiver, fin d’hiver

les élèves plissent les yeux

au soleil rasant.

Le vert des bambous

plus vert encore

sur fond de neige.

La corneille

emporte dans son bec

un rêve d’avril.

Et reluisent pareillement

les flaques et les plumes

au soleil d’hiver.

Petite débâcle

qui crépite

au coude de la gouttière.

Floc

l’hiver à sa fin

fait un bruit de grenouille.

L’ombre de l’enfant

est bien plus grande que lui

ce matin d’hiver.

Dans le froid plus vif

tu accueilles

la paix hivernale.

De ce tas de neige

sur lequel ils sont juchés

ne restera qu’une flaque.

Froid mordant

clameur du moineau

souffle d’un camion.

Craquements

les pas sur la glace

dans la cour presque déserte.

Chant d’une tourterelle

les ombres aussi

tournent.

Après-midi d’hiver

plus gris, plus froid, plus humide

le cri morne d’un corbeau.

La cour presque vide

et bientôt plus vide encore

lorsque nous l’aurons quittée.

Plus d’ombres

ciel brouillé

le rire d’une pie.

Les pieds dans la neige

transis eux aussi

petits bambous verts.

Pour trouver le haïku

tentons tous ensemble

une ascèse polaire.

Le temps se tend

la peur de la fin

qu’on attend.

Sur ce petit iceberg

qui fond doucement

jouer les ours blancs !

Vent dans les bambous

les consignes du professeur aussi

ne sont que du vent !

La bise enserre

le cercle de notre lecture

polaire.

Tableau vivant

des élèves de Troisième

posées là comme des pierres.

Du visage de Romane

on ne voyait plus qu’un œil

vent dans les bambous.

Ce quart d’heure de cours

fut de l’année le plus long,

le plus froid

À sept degrés, Monsieur

on ferme l’école —

et à moins dix-sept ?

Petit lac salé

laissé par la  neige

nos reflets froids s’y trempaient.

Tiffany dans les bambous

un tigre de Sibérie

embusqué.

*

 

Passé ainsi les dernières heures de février à écrire des haïkus avec les élèves de Sixième et de Troisième. Maintenant je m’en vais. Je les vois qui se lancent débonnairement des boules-de-neige devant le collège, ces grands enfants apparemment épanouis.

Pour cette dernière heure il faisait froid (deux ou trois degrés au thermomètre, mais la bise s’était levée). Soleil voilé, brouillard, humidité, tout le monde s’est peu à peu replié, recroquevillé, dans l’obsession du froid. Ce fut très beau, très touchant. Tous posés comme des pierres dans la cour. Tous figés, comme statufiés par un sortilège hivernal. Belles images pour cette fin de période, belles images pour cette fin d’hiver. Je ne sais comment les remercier de m’avoir offert ces belles images d’eux saisis par l’hiver comme dans un tableau vivant.

On a formé le cercle, commencé à lire l’un après l’autre ces haïkus d’hiver, et cela faisait comme la trotteuse d’une grande montre. On aurait pu tourner ainsi encore longtemps, et à mesure que l’on tournait il faisait plus froid et l’on sentait plus vivement l’impatience du temps.

J’étais au début comme débordé par l’âpreté, la tristesse de ce départ ; ils m’ont rasséréné. Ce fut une belle séance d’entraînement aux adieux. On s’est bien dit au revoir. On n’a pas raté sa sortie. On disparaît sans trop de regrets (c’est à peu près tout ce qu’on est en droit d’espérer comme consolation).

 

Couché dans le champ blanc

le cadavre d’une corneille noire

se lève et s’envole.

 

Une camionnette s’est arrêtée au milieu de la route, tous ses occupants scrutant quoi ? Je ne vois qu’un ruisseau gelé.

Maintenant nous filons vers Mars. La route, la route, toujours la route — et puis quoi à l’arrivée ? (C’est ce qu’un élève a écrit dans un haïku.)

 

21 février 2013

 

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