Vigie, janvier 2013

 

AU VIEUX POIRIER

 

Vieux poirier dont la frêle cime

se détache sur fond de plomb

et ne bouge et ne fait signe,

ta présence ce soir

est un bienfait

c’est avec toi que je travaille et

d’imaginer cette fenêtre nue

sans toi pour me

relier à la terre, aux saisons

mon cœur, d’avance, se serre

(car vieux poirier le jour viendra

où on parlera de t’abattre

d’avance mon cœur se serre).

Entre nous maintenant

quelle connivence

te voici pris, bon an mal an

et sans que tu en saches rien

dans la ferveur de l’écriture

ce flux d’encre noire qui est

comme le prolongement de ta sève

et qui circule encore obstinément,

silencieusement

et même en plein hiver.

Quelque chose m’unit à toi

comme naguère avec

un bouleau

un vieux merisier

et même un manguier

(car j’ai connu avant toi,

faut-il te l’avouer

d’autres arbres).

Que tu sois vieux

que je ne vois de toi

depuis la fenêtre du toit

que les cinq brindilles tremblantes de ta cime

convient à merveille :

j’ai moi aussi commencé à vieillir

(si on ne parle pas de m’abattre

l’abattement propre au temps

ne m’est certes plus inconnu)

je suis sensible à tout ce qui

se montre frêle

(plus qu’à ton tronc massif

à ta cime, donc, vieux frère)

tes cinq brindilles font un maigre éventail

qui désigne

le nord et le sud

et par trois fois le ciel

on peut y lire, pourquoi pas,

les cinq couleurs des cinq saisons

automne, hiver, printemps, été

et la cinquième qui est l’éternité

le vide au centre de la roue

l’espace présent en tout

matérialisé en ma place par

la page blanche aussi

parcourue par ces signes

par ma main tracés

par ta présence suggérés

— et même, si j’osais :

dictés.

Mon vieux poirier sur fond de nuit

le crépuscule est là

une grive est passée

une mésange bleue

sur toi s’est posée

et je regarde encore les traits tremblés

que tu dessines sur fond de nuit

et qui m’évoquent les personnages

tracés à l’encre de Chine par Michaux

— Michaux et les oiseaux, tu vois

que nous avons mêmes passions —

je reste auprès de toi en l’amitié du monde

baigné comme toi par

les brumes bleues du crépuscule

pour un peu je voudrais t’embrasser,

vieille branche, vieil arbre, ou embrasser le monde

ô brumes bleues, lever

et boire votre coupe et saluer la bonté

soudaine, inattendue, offerte ainsi

par rien, pour rien, en plein cœur d’un hiver

dont on n’attendait rien

hommage à la bonté recueillie, amplifiée

à peine, par le poème

ce trop plein de bonté qui toujours nous confond.

Devant toi je m’incline

vieil ami

tout tendu vers la nuit.

 

7 janvier 2013

 

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