AU VIEUX POIRIER
Vieux poirier dont la frêle cime
se détache sur fond de plomb
et ne bouge et ne fait signe,
ta présence ce soir
est un bienfait
c’est avec toi que je travaille et
d’imaginer cette fenêtre nue
sans toi pour me
relier à la terre, aux saisons
mon cœur, d’avance, se serre
(car vieux poirier le jour viendra
où on parlera de t’abattre
d’avance mon cœur se serre).
Entre nous maintenant
quelle connivence
te voici pris, bon an mal an
et sans que tu en saches rien
dans la ferveur de l’écriture
ce flux d’encre noire qui est
comme le prolongement de ta sève
et qui circule encore obstinément,
silencieusement
et même en plein hiver.
Quelque chose m’unit à toi
comme naguère avec
un bouleau
un vieux merisier
et même un manguier
(car j’ai connu avant toi,
faut-il te l’avouer
d’autres arbres).
Que tu sois vieux
que je ne vois de toi
depuis la fenêtre du toit
que les cinq brindilles tremblantes de ta cime
convient à merveille :
j’ai moi aussi commencé à vieillir
(si on ne parle pas de m’abattre
l’abattement propre au temps
ne m’est certes plus inconnu)
je suis sensible à tout ce qui
se montre frêle
(plus qu’à ton tronc massif
à ta cime, donc, vieux frère)
tes cinq brindilles font un maigre éventail
qui désigne
le nord et le sud
et par trois fois le ciel
on peut y lire, pourquoi pas,
les cinq couleurs des cinq saisons
automne, hiver, printemps, été
et la cinquième qui est l’éternité
le vide au centre de la roue
l’espace présent en tout
matérialisé en ma place par
la page blanche aussi
parcourue par ces signes
par ma main tracés
par ta présence suggérés
— et même, si j’osais :
dictés.
Mon vieux poirier sur fond de nuit
le crépuscule est là
une grive est passée
une mésange bleue
sur toi s’est posée
et je regarde encore les traits tremblés
que tu dessines sur fond de nuit
et qui m’évoquent les personnages
tracés à l’encre de Chine par Michaux
— Michaux et les oiseaux, tu vois
que nous avons mêmes passions —
je reste auprès de toi en l’amitié du monde
baigné comme toi par
les brumes bleues du crépuscule
pour un peu je voudrais t’embrasser,
vieille branche, vieil arbre, ou embrasser le monde
ô brumes bleues, lever
et boire votre coupe et saluer la bonté
soudaine, inattendue, offerte ainsi
par rien, pour rien, en plein cœur d’un hiver
dont on n’attendait rien
hommage à la bonté recueillie, amplifiée
à peine, par le poème
ce trop plein de bonté qui toujours nous confond.
Devant toi je m’incline
vieil ami
tout tendu vers la nuit.
7 janvier 2013