Route, janvier 2013

 

 

 

SORTIE DE ROUTE (2)

 

Sortie de route, déroute. De nouveau il a neigé. De nouveau la route glissante, hostile, à travers un paysage ciselé de dentelles. Ciel de neige. Très beaux gris.  Lumière franche, lignes claires, lignes sombres. Le clocher du village perce le ciel gris. Paysage de deuil naturellement. Même la maison aux volets bleus que nimbe la montagne enneigée paraît en deuil. 

Toute la nuit les images de cimetière, les images du passé, ont défilé. On repense aussi à la manière qu’ont les mots de raisonner dans le cœur des gens quand ils sont prononcés à l’église, pour une cérémonie funèbre. Au bout du compte, la littérature, peut-être ne sert-elle vraiment qu’à cela : l’éloge funèbre. Croire en la résurrection, en la vie éternelle ? Je ne comprends pas ces mots. Je ne comprends pas ces miracles de la Bible. Je ne comprends pas cette idée, cette obsession même de la résurrection. Le bouddha ne ressuscite personne : à cette pauvre dame dont le fils est mort et qui lui réclame un miracle, il se contente de lui faire comprendre que la mort est le lot commun et que sa demande est illusoire. Mais par les mots, par la poésie, il existe une possibilité non pas faire revivre les morts, mais de faire encore trembler leurs ombres d’anciens vivants, non pas d’entendre la voix des morts, mais d’entendre l’écho de leurs voix éteintes. C’est déjà beaucoup. Cela seul me semble encore à notre portée. 

Long silence. Juste le crépitement de la neige qui continue de tomber des arbres chargés sur le toit de la voiture. Parfois le coup violent d’une grosse masse de neige qui s’écrase sur le pare-brise. Très belle composition chinoise de montagne et de nuages. On guette du coin de l’œil le défilé des cerfs ; on les trouve : huit cerfs debout à la lisière, comme souvent. Je m’arrête pour les saluer. 

Salut, nobles frères. De vous savoir là, vivants et fiers, m’apporte décidément beaucoup de réconfort. La maison qui donne sur le champ où vous vous rassemblez chaque matin et le soir, est je le sais habitée par un chasseur. Est-ce qu’il tirerait sur un d’entre-vous, sur un de ses voisins cerfs ? Cela paraît incroyable. Plus vraisemblablement il doit préférer partir chasser ailleurs. Comment tuer son frère ? — Il est vrai que la Bible en donne une série impressionnante d’exemples qui laissent perplexes Léo, à qui l’idée de tordre le cou de son frère n’était tout simplement jamais venue. La violence du texte biblique laisse le plus souvent pantois.

Tombes humides du petit cimetière, au village. Les morts, ce matin, doivent être glacés jusqu’aux os. Panache de fumée au-dessus des maisons. 

Et puis là-bas, tout au loin, au bout de la route, au-dessus de la combe embrumée, au-dessus de la montagne où s’accrochent encore les nuages, un grand pan de ciel bleu pâle strié de traînées ocre.

 

28 janvier 2013

 

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