Vigie, novembre 2022

 

La fin de l’attente

 

 

L’orage n’est pas venu, ne viendra pas aujourd’hui.

C’est d’abord à nouveau l’une de ces journées hésitantes où tu ne sais pas très bien si tu vas du jaune vers le gris ou du gris vers le jaune, si tu descends le ravin pour mieux gravir la pente ou si tu prends le chemin des crêtes pour dévaler plus tard, si le torrent chante pour te faire taire ou pour t’accompagner… Dans la mousse humide poussent encore de grosses girolles d’un jaune éclatant, spectacle déroutant qui me donne un instant l’impression de m’être fait happer par l’une de ces boucles temporelles qu’aime tant la science-fiction. Ainsi ce serait l’automne perpétuel, septembre succédant à novembre… Rimski d’ailleurs, comme s’il était lui-même déboussolé, peine à suivre le sentier, allant et revenant en avant et en arrière, à gauche et à droite, dégringolant jusqu’au torrent pour remonter aussi sec, la truffe au vent, suivant sans doute la trace de chevreuils particulièrement affolés. Plus loin un arbre est tombé, qui barre le sentier comme l’hiver dernier. Mais que s’est-il passé dans cette forêt pendant mon absence ?

Il a plu très fort. Des troncs ont pourri. Des bêtes ont tourné en tout sens, aveuglées par la pluie, poursuivies par des chiens. Beaucoup de feuilles sont tombées, je crois que c’est pour cela aussi qu’on est déboussolé. Il y a moins de lumière dans le ciel grisonnant mais elle pénètre davantage dans le sous-bois. Dans l’eau du Gelon je regarde une brindille que le courant a emporté jusqu’à une sorte de bief où elle tourne en rond. Il est difficile de dire si elle sera finalement emportée plus loin en aval comme les autres ou bien si elle va couler sur place, coincée entre deux pierres…

Au soir tombé apparaît sur l’écran du portable le message qui, une semaine après l’envoi du manuscrit, m’annonce que l’une des maisons que j’ai sollicitées souhaite le publier. Ce livre écrit dans des trains qui, le plus souvent, m’emmenaient vers la Capitale, ainsi va me permettre d’y retourner – dans une sorte d’enclave bucolique du 12ème arrondissement, parait-il. « Nous sommes un petit éditeur, discret mais dévoué à sa production, dans laquelle nous verrions bien s’insérer vos méditations ferroviaires », dit le message, et je m’étais dit moi-même que je pourrais être à mon aise et à ma place chez cet éditeur-là, dont je possède quelques ouvrages de belle tenue. Ce n’est pas la grande maison suisse que je convoitais (qui, elle, n’a pas encore répondu), mais cet éditeur parisien a aussi des accointances avec la Suisse !

L’attente est finie, le livre paraîtra en principe au deuxième trimestre de l’année 2023. J’en reste déconcerté, puis succombe enfin à la plus parfaite euphorie.

14/11/22

 

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