Vigie, janvier 2023

 

En marchant, en écrivant

 

 

Noir et blanc, neige et arbres, ciel très gris où résonne seulement l’appel d’un pouillot : l’hiver se poursuit dans la même litanie de jours froids et ternes avec très peu de variations. Le trésor brillant d’un gland enchâssé dans son écrin de glace m’arrête, puis c’est la même descente prudente le long du chemin verglacé, la même secousse dans les reins et le même cri lorsque Rimski voit l’animal. On s’assoit un moment dans la neige, le temps que la biche s’en aille et que le chien se calme. L’hiver semble de nouveau immuable, sans redoux ni débâcle, juste quand on n’y croyait plus.

Je suppose que c’est cette immuabilité que j’aimais dans l’hiver lorsque j’étais enfant, cette impression que le temps n’avancerait plus, cette simplification des sensations et ce retrait dans la grotte de ma chambre — car des escapades en ski qui font la joie de Léo, le week-end venu, je n’aimais en revanche que les silences, les arrêts, quand on ôte les skis, qu’on marche dans la neige et qu’on regarde une mésange muette posée sur une branche basse. Le plus souvent, je restais assis à la fenêtre, le menton contre la poignée de fer, à regarder passer les nuages ou à observer les vols de tarins dans la cour. Je disais que je surveillais les secondes. Je me souviens de l’exaltation folle qui me venait cependant avec l’averse de neige, et de certains rêves de grand nord et de chiens de traîneau venus tout droit des romans de London…

Un rapace, une buse je crois, vient se poser au-dessus du torrent puis repart en silence ; c’est ce silence de son vol surtout qui impressionne.

Rimski aussi est un être de mémoire. Le souvenir du chevreuil croisé ici même au bord du Gelon l’affole, me dis-je avant de voir détaler la petite famille, deux adultes et deux enfants, que j’ai déjà croisée plusieurs fois dans ces parages.

Ah oui, je me souviens aussi (en regardant l’ampoule allumée à côté du barrage et qui envoie dans la pénombre de la combe son signal fixe et froid) à quel point je trouvais tristes ces petites lumières des réverbères qui s’allumaient avant cinq heures, annonçant le crépuscule précoce, la fin de la courte pause au retour du collège, et l’heure des devoirs. Je paniquais un peu, surtout si j’avais à écrire, comme c’était alors l’usage toutes les deux ou trois semaines, une de ces rédactions qui me mobilisaient tout entier des jours durant. Je peux encore percevoir les sensations du Waterman sur les feuilles colorées, très lisses, de la marque Clairefontaine, et cet étonnement qui me venait d’avoir trouvé parfois à travers mots cette intensité d’être que je poursuivais déjà sans savoir et derrière laquelle je cavale encore aujourd’hui en marchant, en écrivant.

25/01/23

 

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