Vigie, janvier 2023

 

Celle qui ramène à la maison

 

  

Lorsque revient la neige, la route pour les bêtes devient comme une barque en pays inondé, un refuge, l’assurance de continuer à se déplacer sans qu’il soit nécessaire de gaspiller trop d’énergie, et ce malgré les risques de collision. Ce matin j’y ai croisé six grandes biches qui m’ont forcé à m’arrêter et qui sont restées assez longtemps devant la voiture ; mais je le vois aussi aux nombreuses traces qu’elles ont laissées dans la neige et à ces odeurs qui affolent Rimski — car, oui, je ne sens pas mais je vois les odeurs quand je me promène avec mon chien qui tire sur la longe, se déporte, court de ci de là comme si les bêtes étaient encore en train de traverser et qu’il les poursuivait.

Puis voici le Gelon tout bouillonnant d’écume, le long tunnel de branches enneigées, le charme froid de l’hiver retrouvé. La couche est insuffisante pour gêner la progression, suffisante pour la métamorphose. Ciel blanc, troncs noirs, chemin blanc strié de noir, il neige à petits flocons de grésil rond comme de petits grains de riz très propres qui roulent dans la boue des ornières.

Bientôt l’averse redouble, les flocons serrés masquent le paysage. Le gros chat roux blessé qui tourne depuis des mois autour des maisons en quête de caresses et de nourriture s’enfuit dans la neige. Je m’arrête chez Élodie, où mon père finit de poser le lambris au plafond. Tant qu’on construit, me dis-je, on reste sur la bonne pente, celle qui monte et ne fait pas mal aux genoux, celle qui quitte les ornières, traverse le grand champ blanc, et nous ramène à la maison. 

16/01/23

 

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