Vigie, janvier 2023

 

Dieu merci, je suis adulte !

 

Soleil rasant et longues ombres sur le chemin blanc dont la neige mollit à peine. Lumière vaporeuse. Il est difficile de ne pas considérer ce lieu aimé, choisi et dont je ne me lasse pas comme une sorte de paradis, surtout quand certains souvenirs, certaines perspectives, certaines situations de la vie viennent vous rappeler furieusement ce que peut être l’enfer, ou tout au moins, car j’exagère encore, le purgatoire.

Aujourd’hui, j’ai conduit Léo à la journée portes ouvertes de l’université de Grenoble. Nous devions prendre le train, mais de train, il n’y en avait point, aussi ai-je dû conduire, fébrile comme toujours, jusqu’au campus. D’abord, cela me parait bien plaisant, tous ces visages inconnus de ces grands lycéens accompagnés parfois de leurs parents, intimidés, fragiles, bien moins confiants que les petits garçons ou les petites filles entrés en maternelle quelques années auparavant et qui ne s’attendaient quand même pas à finir comme ça… Je salue avec un enthousiasme que Léo désapprouve la dent de Crolles et la Chartreuse, puis je m’installe avec lui dans le petit amphi, prêt à rêver d’une autre vie, d’autres possibles, d’un futur enviable. La visite du CROUS cependant m’impose d’autres images de couloirs oppressants, de solitude urbaine, nullement sereine, rongée, cernée par le bruit du temps et des autres. Plus tard, dans l’amphithéâtre bondé cette fois, les bavardages, les portes qui claquent, les allées et venues, le brouhaha dans le couloir qui couvrent la voix mal assurée de l’homme qui soliloque sur l’estrade, me donnent une folle envie  de reprendre tout de suite la route du retour, le chemin du présent.

C’est chose faite, tout va bien, je ne suis dieu merci pas retombé dans ce puits de ma jeunesse, je suis adulte et je trottine derrière mon chien sans nulle envie de m’arrêter ni de me retourner. Il est rassurant de se laisser porter par le courant des jours quand la barque est assez confortable et le paysage plaisant. La longue attente des années de formation est derrière moi, et si le pire reste devant, toujours devant, il demeure à cette heure caché par les détours d’un chemin qu’on suppose encore long et qui ne montre que de belles images de forêt enneigée, de torrent gelé et de loup domestique fonçant museau au sol.

Cette paix froide, c’est peut-être aussi ce que savourait le chevreuil qui buvait ici même au torrent, jusqu’à ce que déboule Rimski lesté de son boulet humain. La rencontre a fait trois blessés légers : un chevreuil en fuite, forcé d’aller boire plus loin ; un bipède sur le dos, gesticulant comme un coléoptère ; un Samoyède inconsolable pleurant de frustration. Un petit troglodyte de passage sur la rive a semblé s’amuser de la scène, lançant un trille bien modulé. 

24/01/23

 

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