Route, novembre 2012

 

 

 

 GIVRE DANS LA VALLÉE

 

 

Quatre degrés en dessous de zéro au thermomètre ce matin, on roule à travers la vallée recouverte de givre. Buissons blancs, champs blancs, la route aussi est blanche par endroits. Conduite sur route verglacée ! Un troupeau de vaches sombres broute dans le givre. Il faut être prudent. On avance ainsi au ralenti. Voiture arrêtée sur le bas-côté. Si en poésie, la volonté de contrôler, la volonté tout court d’ailleurs peut être considérée comme un obstacle au mouvement naturel de la langue et du monde, en matière de conduite automobile, conserver le contrôle de son véhicule peut-être une bonne chose ! Cette peur que j’ai présentement de perdre le contrôle, de simplement glisser de quelques centimètres, n’est cependant pas sans rapport avec une peur plus générale, qui est précisément l’obstacle au mouvement poétique.

Grand ciel bleu pâle sans aucun nuage. Cimes dégagées, tout juste encore un peu de neige, et les crêtes de la Chartreuse déjà illuminées. La combe la Rochette demeure sous un épais nuage. Descente prudente. À Répidon, derrière le bus arrêté, un embouteillage de six voitures ! Ici, dans ce virage, route luisante. Les sacs de pommes posées au pied des pommiers. L’ombre chinoise d’un chat noir dans le pré vert sombre. On descend dans la combe. Ayant dépassé le bus, les six voitures forment à présent un étrange convoi. L’attention un moment s’égare. On revient à la route quand apparaissent les premières brumes qui voilent le paysage encore coloré. D’un coup on passe de l’automne à l’hiver. Trente mètres ont suffi. Ici les arbres sont nus, chaque branche soulignée d’un trait de givre, les toits blancs eux aussi, la route embrumée. Puis soudain, par une trouée, c’est encore l’automne. On traverse tout cela dans ce véhicule vibrant, dont la masse, la puissance ce matin ne donnent pas un sentiment de force ni de sécurité, mais au contraire de fragilité accrue. Que tous les rouages de ce grand corps mécanique continuent de fonctionner et permettent cette avancée artificiellement rapide, ne relève même pas du miracle mais du simple coup de chance. Aujourd’hui, on cependant roulé si lentement qu’on arrivera quasiment en retard. On accélère dans la dernière ligne droite. Givre partout et l’envol des corbeaux.

 

15 novembre 2012

 

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