Route, novembre 2012

 

 

 

REVENONS À LA ROUTE…

 

1.

 

Et ce matin, c’est une toute autre tonalité. Ciel dégagé, temps froid, givre sur la vitre. On retrouve ces sensations d’hiver qui nous étaient autrefois si chères. La lumière très nette sur les crêtes. Les vaches broutent dans le givre. Le corps se tend, les pores de la peau se resserrent. Quelque chose se resserre, comme une vigilance qui s’aiguise. Quelque chose de grave et de lumineux. Contraste admirable des bois dorés au premier plan de la combe embrumée, bleutée, au second plan, et des crêtes roses parfaitement découpées sur ce fond de ciel transparent (bleu très pâle) à l’arrière plan. On ne peut s’empêcher de voir là comme un chemin qui s’ouvre, de la bonté de l’automne jusqu’à cette clarté promise dans l’arrière-plan en passant par la confusion de la combe embrumée.

Que la journée qui s’annonce puisse être la possibilité de suivre un tel chemin, à ce moment précis, paraît possible. Et si ce jour, au lieu de n’être qu’apprentissage d’une nouvelle forme d’abattement, comme ce jeune frêne tombé au sol dans l’ornière le suggère, pouvait marquer un pas peut-être vers ces lueurs, ces lumières de l’arrière-plan?

Un panache de fumée de brouillard s’élève au-dessus du bourg voisin, qui met en doute ces assertions.

Revenons à la route. À l’érable rouge orangé. Aux virages qui sont comme des vers. L’inattendu peut se découvrir à l’issue.

Pourquoi cette ampoule là devant la porte de cette maison si enclavée est-elle toujours allumée ? Un oubli ? Un court-circuit ? Ou bien envie de laisser quelque chose de brillant dans le creux de cette combe particulièrement humide et sombre où le soleil n’arrive pas ?

Mélèzes sur fond de givre : admirables.

Même dans le fond de la combe d’Allevard, finalement assez peu de brume. Un beau paysage de fin d’automne épanoui. La souffrance des gens, ici, est peu visible. On n’imagine pas autant de souffrance, autant de crispation, de gens presque à la dérive dans un lieu qui paraît si paisible. Et voici déjà la ligne droite. On n’a pas vu le temps, la route passer. On traverse une brume légère, on retrouve la silhouette des chevaux. Très belles volutes à travers lesquelles la clarté se laisse encore entrevoir. Puisse cette journée lui être consacrée.

 

 

2.

 

Et l’on constate une fois de plus à quel point le temps n’est pas linéaire, à quel point la chronologie des saisons et du cœur n’est jamais respectée. On avait cru à la première neige précoce l’automne défait ; on avait cru après une semaine de brouillard et la venue des premiers froids humides, l’automne perdu. On traverse ce paysage lumineux et on constate : jamais l’automne dans la vallée n’a été aussi beau, aussi coloré, aussi fastueux, avec ses bosquets rouges, avec les flancs de la montagne entièrement colorés ! Ainsi ma grand-mère, dans son agonie prolongée, s’étonne de la plus petite et passagère amélioration de son état et, oubliant ce vers quoi elle se dirige, se réjouit étrangement… Le temps n’est pas linéaire. Ce bosquet de mélèzes, déjà si admirable à l’allée, au retour en plein soleil : une véritable fête! Monte une joie. Dans les ombres alternées projetées sur la route, se mêlent aussi leurs visages, leurs visages jeunes, leurs visages beaux, chaleureux, lumineux, souvent amusés, parfois las (mais aujourd’hui, c’était le dynamisme, l’étonnement, la douceur, la bonté de leur jeunesse qui étaient surtout perceptibles). Il y a dans certains des regards de ces enfants, de ces adolescents côtoyés ainsi à l’occasion des cours, quelque chose comme cette vallée en automne qui se reflète. La beauté éphémère. Et on n’en revient pas de voir cela, cela qui fait le cœur plus tremblant, cela qui fait la vie palpiter, cela qui trouble, qui émeut, qui embrase, cet automne. Associer la jeunesse au printemps n’est peut-être pas très juste. La générosité, la flamboyance, l’éphémère de l’automne semblent aujourd’hui plus appropriés.

Cet arbre, je ne sais pas son essence, à demi dénudé à demi rouge flamboyant ; quelle tristesse quand cette flamboyance finalement se sera éteinte.

Toujours ce vallon, cette perspective qu’on a quand on arrive face au Pic de l’Huile : un des plus beaux passages.

On ralentit. On voudrait prolonger cela.

 

9 novembre 2012

 

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