Route, novembre 2012

 

 

 

LIRE LA ROUTE

 

 

Humidité et froidure en ce matin de novembre ordinaire. Guetté par l’ordinaire, guetté par le banal. Première tentative pour s’en extraire, s’en secouer (comme le chien qui s’ébroue). Regarder ce clocher, ce village, cette chapelle, tous les détails de ce lieu, avec le recul des années. Même lieu, il y a cinquante ans. Même lieu, dans cinquante ans. Faire trembler le réel au moyen de la fiction. Varier les points de vue. À l’intérieur de ce chalet dont la cheminée fume et dont on ne distingue que la lueur d’une lampe, imaginer la femme qui, à l’intérieur, prépare le petit déjeuner. Elle est à la retraite depuis peu. Elle est photographe, chasseuse aussi, ancienne institutrice. Elle aussi, ce matin en se levant, s’est exclamée : « comme c’est humide et froid ! »

Voir dans toute son étrangeté cette route qu’on arpente maintenant depuis plusieurs années. Voir ses changements. Virage après virage. Comme quand on lit un poème, de vers en vers, se laisser surprendre.

Le brouillard, les nuages montent le long de Belledonne, ne laissant plus entrevoir de la montagne qu’une trouée de sapins sombres. L’affluent du Gelon, grossi par les dernières pluies, le remonter très rapidement par la pensée jusqu’à ce creux où, l’été dernier, Léo et moi nous tenions embusqués.

Virage après virage, comme un poème. Lire la route comme un poème. Verglas fréquent : glisser d’images en images, avec le risque constant de se perdre, de ne plus contrôler (mais dans ce domaine contrôler n’est pas un risque mais plutôt un bienfait, l’idée de contrôler étant obstacle majeur au poème). Le Verneil dans le brouillard. Blanc bleu pâle gris blanc, les façades. On s’accroche à des couleurs vagues, aux silhouettes japonaises des arbres noirs dénudés sur fond de brouillard, aux clameurs muettes des chiens de chasse enfermés derrière les grilles.

L’attention flotte un peu. De cette combe, ce grand champ où parfois on aperçoit des cerfs, aujourd’hui on ne voit rien. À peine un chat noir sur le bas-côté, la silhouette évidemment fantomatique des poteaux électriques, la bande blanche refaite à neuf il y a peu au milieu de la route et qui sert de guide.

 

Les habitants de cette maison

peuvent se dire

mangeurs de brume

 

Au fond de la combe

cette maison humide

troglodytique

 

La maison décrépie

volets cloués et porte condamnée

n’en finit pas de s’effondrer

 

Cette rouille du paysage, toute cette rouille… Ce matin l’automne n’est déjà plus quelque chose de riche et de fastueux, mais quelque chose de vieux, d’usé, de rouillé. — Ce panneau alors comme une injonction perdue d’avance : Revit ! Quelque chose est en train de s’éteindre, de s’endormir. Cette rouille. Le petit cimetière apparaît à ce moment précis, avec ses tombes aussi décrépites que les façades des maisons et ces bouquets jaunes, jaunes automne, mais beaucoup plus frais que l’automne car la Toussaint n’est pas loin.

 

8 novembre 2012

 

Ce contenu a été publié dans 2012. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.