Route, mars 2015

 

 

 

NOUVELLES TRACES 

 

 

 

Peu à dire.

Ciel gris, mousses livides.

Le vol mou, toujours retombant et menacé par la chute des arbres, des câbles électriques.

Les crêtes lointaines auxquelles les maisons tournent le dos.

De nouvelles gerbes de rameaux dans la grange ; les plus anciennes ont terni, les plus récentes sont encore orange vif.

Un chat jaune marche à pas de jaguar dans le pré mouillé.

Jonquilles et perce-neiges fermés, petit torrent frais…

Peu à dire, mais tant de choses à voir, à rapprocher, à rassembler, à aimer. Peut-être la poésie, ou ces bribes de textes qui sont à la musique ce que peuvent être les gammes matinales du musicien, n’est-elle rien d’autre qu’une certaine façon d’utiliser les mots pour prendre au sérieux son existence. Pour ne pas ignorer la silhouette de ce merle noir juché sur un piquet ou la craquelure grise des nuages au-dessus de lui. Une façon de ne pas traverser sa vie — en l’occurrence, cette route — complètement en aveugle, en sourd et muet.

Parler pour voir. Parler pour essayer. Parler pour au moins lutter contre ce sentiment d’irréalité qui transforme en rêve chaque instant de nos vies. Parler pour garder trace, puis laisser paisiblement ces traces s’effacer derrière soi.

Voici cependant que le feu rouge de la circulation alternée a été déplacé, qui force à stopper en pleine forêt et permet la découverte d’un nouveau point de vue sur le ravin, les arbres à terre couverts de mousse, le sol couvert de feuilles automnales. On a ouvert la route, percé le bitume, pour enterrer semble-t-il des câbles électriques. Les ouvriers sont en train de refermer la plaie et de brosser la poussière comme on le fait après un accident. Je me réjouis de ces travaux, de cette halte impromptue qu’ils occasionnent, et de ces nouvelles traces laissées sur la chaussée comme dans le texte. 

 

24 mars 2015

 

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