Route, mars 2015

 

 

 DU DEUIL

 

 

Soleil de givre, buée plein le pare-brise, et la lumière éblouissante qui frappe les crêtes blanches pendant que je slalome dans l’ombre. Une pie juchée sur un piquet balance le métronome de sa queue, parfaitement accordée au paysage encore hivernal et aux premières pulsations de mars. Il est bon de s’arracher à l’enserrement des rêves tristes, pour repartir sur la route — surtout quand elle est, comme aujourd’hui, si lumineuse.

 

Puisse la puissance de la voiture m’arracher à la tristesse comme le printemps s’arrache à l’hiver (il y a au moins en commun la nécessité d’une certaine vitalité).

 

Rêvé encore cette nuit d’une maison en ruines — peut-être pas tout à fait en ruines, non, mais l’eau suintait du plafond, que je regardais avec mes grands-parents morts, et nous ne pouvions rien faire parce que trop faibles, trop vieux.

 

Passons.

 

Pressons. 

 

Un coup d’accélérateur juste à la sortie du bois sombre. La terre labourée du grand champ commence à reverdir, voyez-vous. Un chat noir trottine sur un vieux muret. Des tuyaux d’écoulement jaillit l’eau froide de la débâcle. Un torrent blanc se tortille entre les arbres noirs.

 

Dans le deuil, douceur et douleur demeurent inextricablement liées.

 

Tout ce qui passe, tout ce qui est passé, tous les bonheurs passés, et nos souvenirs à tous les carrefours.

 

Deuil arrêté, en mouvement, deuil d’hiver ou de printemps, et le deuil d’été qui sera sans doute pire : deuil définitif dont on ne sortira pas, dont on n’a pas l’illusion de se défaire.

 

3 mars 2015

 

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