Route, mars 2015

 

 

L’AUTRE MONDE

 

 

Seules traces du brouillard et des pluies de ces derniers jours, des pans de brume incandescente défilent autour des dômes blancs. En contrebas, c’est la lumière franche du printemps qui dessine sur la route les ombres précises des arbres nus qui semblent ainsi flotter sur leurs racines rendues apparentes. Ombre et lumière. Et la route comme un manège. Un cheval bai broute dans l’herbe rase. Un peu plus loin une paysanne aux cheveux blancs est en train de sectionner les rameaux d’un saule têtard, pour je suppose des travaux de vannerie. Un jeune couple considère avec ce que j’interprète comme de la perplexité l’endroit où la route, il y a un an ou deux, s’était effondrée : est-ce que le terrain à nouveau a bougé, avec la pluie et la fonte des neiges ?

Premières fleurs aux forsythias. Même avec les fenêtres fermées et le bruit du moteur on entend les trilles. Premières fleurs blanches aussi, toutes cotonneuses, sur ces arbustes que je ne peux pas nommer. Au fond du paysage, il ne reste du Granier qu’un trait blanc séparé du sol par la brume. Une pie sautille dans l’herbe neuve, à la poursuite d’un insecte.

Arvillard, un saule pleureur déjà tout en feuilles. Des travaux — mais je ne vois personne — imposent ici une halte à un endroit où je ne m’arrête jamais. Talus couvert de primevères. Plein soleil. Halte étrange, prolongée, devant cette route sans obstacle, sans personne, comme si on était soudain sur le point de passer la frontière invisible de l’autre monde, comme si on avait peur des ombres. Puis le feu passe au orange, et l’on découvre les travaux en cours, pelleteuse et immense bobine de fil électrique pour ogre couturier…

Ce qui frappe alors c’est la couleur des prés. Il n’y a cette fois plus aucun doute, l’herbe a recommencé à pousser. Le vert supplante peu à peu le jaune paille. Ainsi le temps et la route filent.

Derrière le trottoir ou je gare la voiture, les fleurs bleues.

 

23 mars 2015

 

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