Vigie, septembre 2021

 

 

 

La balade de l’anxiété

 

 

Vigiesept21 04

 

 

En passant Rimski salue le petit âne gris tout trempé qui a couru à sa rencontre et les voici, museau contre museau, Rimski recommençant à faire sa toilette – puis le chien s’aplatit devant l’ânon en prenant garde à ne pas toucher le fil électrique. Il y a quelque chose de touchant dans cette curiosité et même cette tendresse spontanée qu’on peut voir entre deux animaux d’espèces différentes. On souhaiterait que ce jour de pluie froide, que cette promenade entre deux averses, deux nouvelles inquiétantes ou tragiques, deux coups de feu, soient ainsi placées sous le signe favorable de la tendresse animale. Il est difficile pourtant de ne pas sentir au ventre un nœud d’anxiété qui n’est pas d’automne mais de toute saison, hélas, à cause d’une mauvaise nouvelle (qui ne me concerne pas intimement et qui n’a pas à être précisée ici). D’abord je tente de la noyer, mon anxiété, dans le vacarme rassurant du Gelon sous l’averse. Je reviens en ce lieu du grand toboggan où les enfants jouent l’été et où je n’étais pas revenu depuis un moment à cause des travaux en cours, arrêtés aujourd’hui. Je reste un moment à regarder l’eau tourbillonner, à m’étourdir des sensations fortes du torrent, de l’écume, des mousses odorantes dans lesquelles Rimski va fourrer son museau. Mais pas moyen. Des images de carcasses de bêtes dérivant avec les pattes en l’air se superposent à celles du Gelon, et me voici pleurnichant parce que je viens d’imaginer que Rimski glissait, heurtait de la tête un rocher et se noyait sous mes yeux… Inutile, donc, de se cabrer, de résister, de nier : ce sera aujourd’hui la balade de l’anxiété.

Allez, gambade en liberté mon anxiété blanche, qui fait la voix blanche, gambade, promène-toi, promène-moi, je te suis attaché, je suis ton serviteur, je renonce à cette prétention de me faire si peu que ce soit obéir de toi. Si tu veux me faire tomber dans la pente, ne t’en prive pas, je me relèverai bien. Si c’est à travers les ronces que tu veux m’emmener, va pour les ronces, je me consolerai de mûres et puis j’en ressortirai avec une couronne d’épines (un jour un quidam de passage m’a pris pour le Christ ; cela m’a fait plaisir). Et puis, si le chemin se met à briller, si le soleil illumine les bois, je m’en réjouis bien sûr mais c’est sans aucune illusion car je vois bien que le grand frêne blanc arbre est tombé sur la ruine juste en face du pont comme on mutile un cadavre. Voyez-vous cela ? Le frêne s’est abattu sur la ruine, la cassant un peu plus, et cassant presque en deux dans le sens de la hauteur un sapin, un vrai massacre, et mon anxiété blanche saute dans ce chaos de branches brisées et de pierres qui est pour elle terrain de jeu rêvé. Quel chaos, quelle tristesse. Ici, il n’y a pas si longtemps on cherchait les morilles. La lumière bien vite disparaît, qui n’était revenue que pour éclairer la scène du crime. Le long du sentier de plus en plus sombre et étroit trottine mon anxiété.

 

 

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