La salle en septembre

L’HOMME DE DEMAIN

Sallerealhumans

« Bonjour, je suis le hubot-remplaçant de M. Seppoloni. Votre professeur, qui ne regarde jamais la télévision, a passé son week-end à visionner la série suédoise Real Humans pour préparer son cours sur la science-fiction, et cela lui est un peu monté à la tête. Il a fait un petit malaise et se repose. Je suis son clone de remplacement, toute ma mémoire et mon comportement ont été fidèlement copiés sur lui et vous ne verrez presque aucune différence. Veuillez sortir vos carnets et vos classeurs. »

Coiffé comme un Playmobil, vêtu d’un polo bleu ciel que je ne porte jamais en classe, et bien raide sur ma chaise pour imiter l’image du hubot (robot humanoïde) projetée derrière moi, je goûte une fois encore au plaisir d’une mise en scène légèrement inquiétante. Nul besoin de me forcer, tant la situation même du cours est théâtrale et pousse à cette sorte de dédoublement que je ne fais que souligner — comme Guidoni sur scène mimant la schizophrénie de l’artiste : « Ce n’est pas moi qui chante ce soir, c’est l’autre, la poupée, le poupon… »

Dans la série suédoise Real Humans, les morts renaissent sous forme de clones robotisés. Une femme voit ainsi réapparaître son père mort, livré dans un carton sous la forme d’un automate plus jeune, avec les traits un peu plus lisses, les expressions plus figées (le jeu d’acteur est admirable), mais doté d’une mémoire et de toutes les apparences des sentiments. Le deuil devient impossible, les fantômes sont là, matérialisés avec un réalisme incomparable. La manie que j’ai de noter les rêves — et surtout ceux qui me donnent l’illusion d’entendre de nouveau parler ma mère — ou les textes que j’écris en sa mémoire feraient pâle figure face un tel stratagème technologique, dont ils ne sont peut-être que le brouillon. On sent bien qu’une telle pente est absolument mortifère ; on sent bien également qu’elle est aussi irrésistible que le chant des sirènes. La réalité que célèbre la poésie, la réalité à laquelle on s’accroche, pâlit et ternit devant le soleil trompeur de pareils fantasmes ! C’est sans doute la force et la faiblesse de l’homme que de devoir sans cesse composer avec ce monde imaginaire qui se mêle au monde, et fait partout comme un halo.

Aujourd’hui je suis mon personnage. Je dis bonjour avec un grand sourire figé. Je tourne la tête à gauche, je tourne la tête à droite, consciencieusement, mécaniquement. Lorsque je serai mort, mon robot parlera encore un peu pour moi, quelque temps, sur l’écran, dans les livres.

14 septembre 2016

 

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