La salle en septembre

 

 

 

DANS LE NOIR (2)

 

 

Le haïku, c’est l’art de l’étonnement devant l’ordinaire, un puissant antidote à l’indifférence, à la lassitude, à la paresse, à l’ennui de vivre. Cela passe, comme toute pratique artistique, par un retour à la saveur première de la sensation : voir, goûter, sentir, toucher, entendre…

Les voici occupés à regarder par la fenêtre, occupant librement l’espace de la salle, les couloirs, l’escalier – certains sont partis se livrer à l’atelier dit de « l’écoute aux portes », qui consiste à glaner, à travers les portes, des bribes de paroles prononcées par des professeurs ou des élèves, à les écrire et à en faire des poèmes qui seront lus en fin de cours.

Chaque groupe, chaque élève réagit différemment devant la liberté. Certains ne bougent pas de leur place habituelle, comme des canaris en cage qui ressentent l’ouverture de la porte comme une menace. D’autres s’empressent d’aller à la fenêtre, ou de monter sur les tables (Tiwan vient de soulever une des dalles du faux-plafond, qu’il faut remettre en place…), ou de se cacher derrière la porte, ou de s’allonger au sol « puisque, Monsieur, vous avez dit que nous étions à la plage et que le lino bleu, c’était la mer… » Tout de même, aller s’enfermer dans le placard comme Matteo vient de le faire, ce n’était jamais arrivé ; cela prouve, au passage, que c’est possible – et Tiwan de s’empresser de rejoindre Matteo dans le placard pour, on suppose, lui taper dessus…

Chacun ainsi explore son petit arpent de liberté, regardant, sentant, touchant, écrivant.

Soudain les volets se ferment et la salle est plongée dans le noir. Que voit-on quand on ne voit plus ? Que voit-on qu’on ne voyait pas auparavant, quand on y voyait ? Juste l’œil rouge du vidéoprojecteur qui surveille la scène, le liseré blafard sous la porte, les rainures du côté du volet qui ne ferme pas très bien, quelques lueurs…

Les plus turbulents bien sûr en profitent pour pousser un peu plus loin la régression infantile. C’est sans importance. Cela fait partie de l’expérience. Que vit-on quand on est plongé dans le noir ?

 

24 septembre 2019

 

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