La salle en septembre

 

 

PREMIER ACTE

 

Salle29092018

 

C’est la première heure, le premier acte d’une très belle journée d’automne estival, et c’est le premier devoir de l’année. Après avoir beaucoup parlé le professeur se tait et regarde.

Chacun se tait et regarde : regarde sa feuille, regarde les autres, regarde par la fenêtre le ciel absolument limpide, la montagne claire au fond du paysage, la petite maison aux volets bleus qui reste encore dans l’ombre. Elsa, la tête posée sur son bras gauche, semble s’être assoupie sur sa copie, mais il n’en est rien car sa main droite qui tient le stylo bouge encore. Gabrielle, jambes croisées, le dos droit, mordille avec souci le bouchon bleu de son Bic, considère de loin sa feuille comme pour prendre du recul par rapport aux questions posées puis, soudain, se détournant tout à fait de son objet comme le font souvent les chats en chasse, attrape un de ses cheveux qui flottait à hauteur de ses yeux et le coupe ; puis elle reprend le Bic et le fil du devoir. Raphaël, comme à son habitude, pense à voix haute, ou, disons pour ne pas le vexer, à voix demi-basse, murmurant, donc : « Merde!… mais enfin… », et faisant de sa grande table-estrade près de la porte une sorte de théâtre. Naturellement, Suzon et Dorian ne peuvent pas voir qu’ils ont, au même moment, exactement la même attitude, avec la même inclinaison de tête et la même façon d’entrouvrir la bouche en écrivant, comme pour bailler (Suzon baille) ou comme le ferait un bébé étonné. Inès, cependant, à intervalle régulier remet en place ses longs cheveux en les coinçant derrière ses oreilles comme on le ferait d’un rideau de théâtre, encore (ne sommes-nous pas toujours ici au théâtre, public et spectateurs engagés dans un même jeu de miroir ?), et sur la scène de son visage attentif se joue tout le petit drame sans drame du devoir de français. Enzo, quant à lui, a fini, semble-t-il, fini le drame, la pièce, et, après avoir caché sous sa trousse la feuille dont il espère peut-être que je ne la ramasserai pas, joue avec son compas rouge, et sa mine est si triste et si inquiète qu’on a envie d’aller le rassurer ou, pourquoi pas, de lui filer en douce les réponses (va les chercher à la loge si tu veux, les photocopies du corrigé sont prêtes…). Yannis, qui est manifestement enrhumé, secoue la torpeur par un tonitruant barrissement, que commente aussitôt Raphaël, bientôt repris par Suzon exaspérée, mais encore polie : « Dans ta tête, s’il te plaît ! »

Le temps à présent semble long pour ceux qui ont fini et qui regardent dans le vague, se faisant discrets pour ne pas écoper d’un supplément de travail. Enzo revient avec les photocopies.

 

29 septembre 2018

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

Ce contenu a été publié dans La salle est immense!. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.