Vigie, mars 2019

 

 

L’ogre

 

 

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À la fenêtre d’aujourd’hui, le même rouge-gorge qu’hier sautille entre les lilas alourdis de pluie et de jeunes bourgeons. L’averse a lavé le ciel, ravivé les couleurs et les rêves d’escapades : on se dit que dans ce ciel-là on pourrait voler, oubliant les timidités et les peurs de passereaux dont on est coutumier. On sent dans les tendons des impatiences de marches, et dans les muscles atrophiés par la réclusion une jeunesse nouvelle qui n’attend peut-être, pour se réveiller, que l’imprévu d’un autre coup de vent – vrai, on pourrait s’envoler !

En attendant on reste à la fenêtre à surveiller le rouge-gorge (dieu merci les chats dorment), qui fourrage à présent dans le lierre. Sa blessure n’était que superficielle : on en décèle une trace juste en dessous de l’œil gauche, un peu de sang caillé. Un moineau domestique le rejoint, qui pépie furieusement devant les barreaux – et une fois encore je ne me peux pas m’empêcher d’entendre dans ces cris un appel qui ne m’est pas adressé mais que je peux prendre pour moi.

De cette attente, de ces images et de ces rêves on tire matière à nourriture, comme le font les abeilles avec les noisetiers – car c’est dans leurs chatons précocement dorés qu’elles tentent de se rassasier en cette fin d’hiver, même si ce n’est qu’une nourriture bien pauvre, un pis aller, un ersatz de nourriture ou un simple apéritif avant que les saules marsault ne commencent à arborer leurs cônes vert glacier annonciateurs du vrai festin printanier.

Écrivant et guettant ainsi debout derrière les barreaux de la Cave je sens monter dans mon ventre un appétit d’ogre.

 

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