Vigie, mars 2019

 

 

 

Le printemps

 

 

Vigie22mars2019

 

 

Le givre fume autour de la grande croix qui sert de perchoir au premier couple de rouges-queues. C’est aujourd’hui le printemps et je pars à sa rencontre. J’ai connu des printemps bien moins avenants : printemps froids, pluvieux, printemps malades plus tristes que novembre, printemps de deuil, printemps agressifs jetant leur lumière crue sur les ravages de l’hiver. J’ai connu quelques beaux printemps aussi, mais que j’ai mal vécus, toujours plus ou moins mal à l’aise devant toute cette beauté dont l’éphémère me navrait.

 

Aujourd’hui pourtant je pars à sa rencontre. Je n’ai pas grand mérite à le faire car c’est un printemps de lumière douce et accueillante, à l’image de ces cônes vert glacier que le soleil de huit heures dore sur les branches des saules marsault ; un printemps de pollen, de papillons et d’abeilles, qui cette fois n’éclaire que l’évidence du désir.

 

Je sais ce que je désire. Je peux le dire à voix claire moi aussi, je peux dire : « des étendues, j’en veux encore », des perspectives larges, des chemins de terre et de pierre zigzaguant à flanc de montagne, des arbres verts, des alpages avec parades de tétras et luttes de marmottons, un monde animal plein d’insectes, d’oiseaux, de chevreuils, de cerfs, de chamois, de bouquetins, et puis un bon baton dans ma main pour marquer le rythme d’un chant de marche silencieux ; et encore : un bivouac, un feu de camp près des crêtes pour allumer un signal destiné aux hiboux, la terre sous mon dos et mille étoiles dans les yeux du printemps.

 

Ce matin les troncs des bouleaux luisent comme jamais. En bas les prunus ont commencé à se couvrir de fleurs roses, les pruniers de fleurs blanches. Les névés fondent sous la caresse du printemps et se transforment en fleurs. On a soif de fleurs. Si, à l’instant, on mourrait, il est bien évident qu’on se réincarnerait aussitôt en colibri, en papillon ou en abeille.

 

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