Munich, été 2019

 

 

 

Dachau

 

 

Dachau

 

Il pleut à verse, tout est gris, presque froid. Va-et-vient dans la gare où l’on est occupé à rater des trains en attendant qu’Agnès et Valérie, en retard à cause d’un problème de machine à laver, viennent prendre Clément, car son grand-frère visitera seul avec son père le mémorial de Dachau.

Au-dessus d’un flot de parapluies, le panneau « Concentration Camp Memorial Site » ; puis la grille noire, les ferronneries proclamant « Arbeit macht frei » (les nazis avaient le sens du sarcasme), la cour immense et grise, les barbelés, les sept miradors, l’alignement des fondations qui laissent imaginer celui des baraques.

Le camp de Dachau – plus de trente-mille personnes sont mortes en ce lieu dont le nom, comme quelques autres, suffit à glacer le sang – fut en 1933 le premier de tous les camps de concentration nazi, l’un des plus grands, et un modèle pour tous les autres. Destiné d’abord aux opposants politiques allemands, il a été ensuite utilisé pour toutes les autres catégories de déportés. Des expérimentations « médicales » y ont été menées, notamment dans une chambre de dépressurisation. On y a tué par balles, coups, potence, le typhus y a fait des ravages. Le camp a été organisé comme un instrument de terreur ne laissant aucun répit aux prisonniers : même faire son lit, pour les nazis, pouvait devenir une forme de torture…

On écoute gravement les paroles de l’audio-guide, seul moyen de glaner des informations en français. Que les dispositifs ordinaires du tourisme s’appliquent à un tel lieu laisse mal à l’aise. C’est ainsi. Des enfants jouent maintenant dans les grandes flaques de la cour où avait lieu l’appel. On écoute ces commentaires, résumés souvent trop vagues d’une exposition par ailleurs assez confuse et assez mal présentée dans la partie musée – seuls les rares témoignages disponibles en français, soudain, font mouche. Le film projeté date des années 60, l’historien d’aujourd’hui y trouverait beaucoup à redire naturellement ; mais on n’est pas là pour un cours d’histoire – juste pour tenter d’effleurer, après la grandeur de l’homme, son horreur.

« Plus jamais », dit la pierre ; tu parles (mais on espère quand même).

On entre dans la chambre à gaz, qui n’a pas été utilisée pour des exécutions de masse – peut-être pour des « gazages expérimentaux », mais ce point est discuté (« Au cours du procès des SS du camp fin 1945, le médecin des détenus Frantisek Blaha déclare que des gazages expérimentaux ont eu lieu dans le camp. Un rapport de l’armée américaine, constitué avant le procès sur la base de témoignages de survivants, avait référencé la chambre à gaz dans la rubrique exécutions », précise la rubrique Wikipédia dédiée au camp.)

La pluie balaye de plus belle les baraquements. On ne dit plus rien. Je ne sais pas ce que peut ressentir un enfant qui n’a pas encore treize ans, à l’évocation de cela. Toute foi en l’homme peut être anéantie.

On ne dit plus rien. Sitôt les portes du camp franchies dans l’autre sens, le soleil revient : on veut y voir un signe.

On reprend le bus, le train, le métro, on franchit à pied un pont au-dessus de l’autoroute juste en face du musée et de l’horrible tour qui sert de siège à BMW (qui profita bien, semble-t-il, du travail forcé auquel étaient soumis les prisonniers de Dachau), pour rejoindre Clément, Agnès et Valérie au parc olympique. Les enfants font du trampoline, des manèges, comme ils n’en ont jamais faits. Je les regarde tourner dans le ciel de Munich, et trouve à la fête un goût de cendres.

 

 

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