Munich, été 2019

 

 

Frauenkirche, carillon et Lenbachhaus

 

 

Cheval bleu

 

 

Avec son grand dôme, ses hauts piliers et son intérieur dépouillé la Frauenkirche (l’« église des femmes », Notre-Dame-de-Dresde) est sobre et belle. Protestante en terre catholique, elle pousse en même temps au recueillement et à l’élévation. Sous le grand Christ suspendu des ouvriers à genoux réparent une grille. Comme presque toute la ville l’église a été reconstruite à l’identique, entre 1994 et 2005 : Munich devrait être une leçon de résilience et de persévérance.

 

On flâne dans Marienplatz, où l’on se mêle à la foule qui attend la pantomime du carillon : une longue introduction, puis deux tours de manège en haut, deux tours de manège en bas, les chevaliers se croisent, s’abattent, l’oiseau doré salue, le spectacle est fini. Tant de candeur émeut, comme peuvent émouvoir les vieux jouets, les souvenirs d’enfance.

 

Je m’étais promis d’aller voir les tableaux de l’école du « Cavalier bleu » au deuxième étage de la Lenbachhaus, mais je reste d’abord fasciné devant une étrange installation fantomatique (le titre du film de 15 mn est « Geistergeschichte »). La caméra avance lentement sur un chemin bordé par la forêt. On voit des visages, une voix blanche récite un texte en anglais que je comprends mal mais qui me touche, comme me touchent les poèmes russes du Miroir de Tarkovski.

 

On traverse assez vite les salles consacrées à la nature dans la peinture classique, puis on mesure une fois de plus l’ampleur de la rupture que constitue la Seconde Guerre Mondiale devant la violence des tableaux abstraits d’Irma Hünerfauth – mais le vrai choc, évident, immédiat, est bien, au deuxième étage, celui de la rencontre avec August Macke et surtout Franz Marc. (Kandisky, le plus éminent des peintres rattachés au Bleue Reiter, qui lui doit ce nom, occupe la plus grande partie du musée, mais son œuvre, décidément, ne me parle pas, que ce soit au début, au milieu ou à la fin de son parcours – tout au plus m’intéresse, pour l’anecdote, ce petit tableau de l’Englischer Garten de Münich que je ne photographie que parce que nous y sommes passés.)

Dans le « Zoologischer Garten » de Macke (1912), on retrouve les couleurs, la douceur, le fouillis, presque la chaleur du zoo tel que nous l’avons vu au premier jour de notre séjour, et beaucoup de charme dans ce petit tableau « Indianer auf Pferden » (1911) qui célèbre les Amérindiens (une passion allemande, me dit Valérie, « il y a plus de teepees en Allemagne que dans tout l’Ouest des États-Unis… »). Mais les tableaux les plus réjouissants sont ceux de Franz Marc, dont on voit venir de loin le gracieux « Cheval bleu ». Le sens du mouvement, la pureté des couleurs, la complexité de la composition tendent vers l’abstraction tout en traduisant avec une grande expressivité ce que peut être la cambrure d’un cheval, d’un faon, le mouvement d’un oiseau, la puissance d’un puma. Au petit jeu du tableau à emporter avec soi, je prends sans hésiter toutes les toiles de Franz Marc.

 

Macke et Marc ont été tués à la guerre, respectivement en 1914 et 1916. On connait bien des tableaux créés puis détruits pendant des guerres, mais on songe soudain avec douleur à ces œuvres entière qui n’ont pas pu éclore, à ces « vols arrêtés », comme chantait Vissotsky.

 

Grandeur et misère de l’homme.

 

Dernière fête encore familiale, encore un peu heureuse, au Ratzkeller le soir, puis on prend une dernière fois la ligne 55, arrêt Woferlstraße. J’écoute « Adios » de Benjamin Clementine : son piano obsédant, ses ruptures de ton, ses confidences murmurées, le violoncelle et la voix qui vacillent…

 

 

Ratzkeller

 

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