Munich, été 2019

 

 

 

Paris-Munich

 

 

Paris Münich

 

 

Courte nuit. On file dans le métro, où règne déjà la cohue des jours de grands départs. À la gare de l’Est, un haut-parleur annonce aux passagers un peu hagards que le Paris-Francfort a été déplacé gare du Nord. Debout sous nos casquettes et chapeaux de parfaits vacanciers on scrute les panneaux jaunes sur lesquels défilent les rares nouvelles des trains en retard, du train en retard dont je commence à souhaiter l’annulation, car ce serait la fin du voyage et que je déteste toujours autant partir – mais il arrive, bien trop tard pour permettre d’attraper la correspondance, et l’on retrouve la litanie des bagages entassés, des passagers endormis, des longs murs gris tagués d’ennui, tout ce à quoi les enfants, heureusement, échappent, car ils se sont replongés dans l’infini de leurs liseuses qui permettent, vive la technique, de transporter sans risques et sans peine davantage de livres que n’en pouvaient contenir toutes les malles de Cendrars…

 

Sur le quai de la gare de Francfort ils ont formé tous les cinq une sorte de cercle autour des gobelets de plastique et du thermos : le père, tee-shirt vert froissé, bermuda couleur brique, barbe poivre et sel, très attentif au bien-être de chacun et à la cohésion du cercle ; la mère en grand chapeau violet et robe à fleurs extravagante, l’air distrait ; le fils cadet, un petit blondinet tout en bleu ; la grande fille aux longs cheveux blonds, reflet adolescent de la mère ; le fils cadet, qui dépasse tous les autres d’une bonne tête, chemise en jean ouverte sur le torse nu, fin sourire.

 

Au bout du quai de la gare de Mannheim, le reflet de l’alignement discontinu que forment les rares passagers qui attendent  s’entrecroise avec les lignes tracées par les câbles électriques et les grues dans le ciel. L’heure tourne, les grues tournent. Clément, blessé à la langue, peine à mâcher sa salade, peine à parler ; Léo, blessé au genoux, n’a pas encore perdu sa casquette orange. Le train arrive enfin. Léo s’étonne de ce compartiment qui lui semble le comble du luxe (tous les trains étaient ainsi autrefois !), dans lequel on s’installe pour une première partie de « Citadelles » – le jeu de cartes qui sera, je crois, plus qu’un passe-temps, le véritable attrait du voyage pour Léo.

 

À cause de la fatigue, des circonstances, de la chaleur, des quatre heures de retard, l’arrivée à Munich puis la course à travers l’immense Hauptbahnhof et le premier trajet dans le bus 55 jusqu’à l’appartement que j’ai loué pour nous trois (Agnès et Valérie ayant choisi un autre appartement plus central) ne me procurent qu’une grande tristesse mêlée de torpeur tendue.

Mais oui, c’est bien la bonne maison, avec la forte pente de son toit de briques et son petit jardin. Une femme ouvre la porte alors que je suis occupé à récupérer la clé dans la boîte (Gerd, le propriétaire, est lui-même en voyage) et me dit de prendre la clé n°1, puis m’indique l’étage – ce qui m’étonne, car je suis censé avoir loué un rez-de-jardin. Je découvre une chambre minuscule, avec un seul petit lit. Fataliste, constatant déjà la probable arnaque sans même m’en révolter, je me demande comment nous allons faire pour tenir pendant plus d’une semaine à trois dans ce réduit ; puis je décide d’aller trouver l’inconnue qui nous a accueillis pour lui exposer le problème, mais la maison semble à présent déserte. Je frappe à la porte de la chambre du bas, sans que nul ne réponde, puis tente d’y pénétrer. La porte est ouverte, la clé de la chambre posée sur une table, et je reconnais la chambre louée sur Internet avec ses lits immenses, son fauteuil blanc, le lino imitation bois, le jardin, la terrasse. Cette femme, sans doute ne m’a-t-elle pas dit de prendre « la clé n°1 », mais « une seule clé », et sans doute aussi était-elle simplement chargée de faire le ménage en l’absence du propriétaire.

Je ne ressens aucun soulagement, mais seulement la tristesse de ne plus comprendre l’allemand (que j’ai pourtant étudié pendant huit ans). Pendant que les enfants se reposent je repars faire les courses au supermarché le plus proche : alignements de maisons proprettes, de grosses voitures et de haies de thuya, ouvriers au travail, rares quidams attablés aux terrasses devant des bocks de bière, puis voici le supermarché Edeka, où je vis la petite humiliation de l’étranger incapable de s’exprimer correctement, et d’où je ramène, surtout, un grand sac de cerises presque noires et une bouteille d’Apfelsaft.

 

Neuf heures du soir, je pleure en regardant les restes du plat qui contenait la purée de Clément, et qui a éclaté dans le four. L’hostilité du monde est indéniable ! Qu’est-ce que je fiche ici ?

 

Ce sont ces riens qui permettent de comprendre qu’on est bel et bien parti en voyage…

 

 

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