Munich, été 2019

 

 

 

Paris, Cayenne

 

 

Gare du Nord

 

« C’est l’été le plus chaud du siècle, le jour le plus chaud de l’été » – tout du moins pour le moment, car on sait que le pire reste à venir. La station météo enregistrera 42.6° dans l’arrondissement voisin, record absolu, pas un souffle ne parcourt le petit appartement peuplé de souvenirs où l’on dort avec la fenêtre ouverte en grand. Les perruches vertes qui ont colonisé les squares depuis quelques années semblent avoir précédé de peu le climat tropical qui leur convient : demain, Paris sera Cayenne ?

 

Au fond du wagon du métropolitain surchauffé mais nullement bondé, un vieux Juif en costume noir, chapeau noir, barbe et chemise blanches, est assis à côté d’un jeune rasta tatoué en débardeur et bermuda de camouflage, qui se tient lui-même au coude-à-coude avec un trentenaire en chemise à carreaux, cheveux courts et barbe noire bien taillée ; tous trois s’ignorent superbement, et ignorent surtout à quel point les rapprochent non seulement ces trois sièges serrés du fond du wagon, mais aussi les smartphones qu’ils sont chacun occupés à consulter avec une extrême attention, si bien qu’on ne peut qu’être frappé par le spectacle involontairement cocasse de ces identités socio-vestimentaires si marquées, mais niées par la position parfaitement identiques de leurs trois têtes inclinées du même côté, de leurs bustes légèrement penchés sur l’écran, de leurs trois mains gauches pianotant sur les claviers (le vieil homme avec hésitation, le rasta avec décontraction, le geek, des deux pouces, avec aisance évidemment) et des cordons blancs qui, reliant leurs oreilles aux smartphones, semblent aussi les relier entre eux.

Dans l’attente du départ vers Munich on retourne à la Cité des Sciences, non que le lieu me plaise (je n’attends rien des expositions présentées, qui seront comme chaque fois insatisfaisantes à tous points de vue) mais parce que je veux passer l’après-midi au frais dans le Planétarium.

On s’allonge à moitié dans la lumière violette et l’on regarde les étoiles. On voyage dans l’espace, on voyage dans le temps : Josette était assise ici, je la revois très bien, et nous avions croisé en entrant l’un de mes élèves qui faisait lui aussi un voyage en famille et m’avait salué, sans se douter bien sûr de tout le tragique de mon propre voyage… On voyage immobile, les enfants s’essayent à la conduite de train sur un simulateur pendant que je contemple les images troublantes projetées en noir et blanc sur un écran à trois pans d’un voyage ferroviaire de science-fiction.

Devant la Géode illuminée je tente de reprendre le même cliché qu’il y a cinq ans, mais ne parvient à fixer que deux silhouettes noires.

 

Avec ses échoppes ouvertes, ses étalages de légumes, de miel, de friandises, ses flâneurs, ses vacanciers, la rue Daguerre a gardé cette atmosphère de village qu’on aimait. On la traverse en ruisselant – Paris, c’est déjà Cayenne. On croise le fantôme d’Agnès Varda qui rentre chez elle à tous petits pas (sortir n’était pas raisonnable), puis on retrouve dans la même crêperie que jadis nos amies Agnès et Valérie, pour un repas climatisé.

 

La main accrochée au gros volume bleu Oceanographic History, l’enfant s’enfonce dans un sommeil sans rêves sur le grand matelas gonflable qui ondule comme une mer, sous la protection ou la menace des quelques centaines de volumes qui constituent la partie émergée de la bibliothèque de Valérie…

 

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