Vigie, mai 2022

 

Retour vers le Nant

 

Vigie0522 02

 

Vent vif, le même qu’hier, et le même chant mêlé des insectes et des oiseaux partout, et les silhouettes du promeneur avec son chien n’ont pas changé non plus : c’est l’itinéraire qui diffère. Cette fois, on revient au Grand Creux. On suit le tuyau qui alimente en eau le jardin de Joël jusqu’au Nant de la Guire, que l’on traverse précautionneusement car la fonte des neiges l’a rendu tumultueux, puis qu’on remonte à pas tranquille.

Parmi les fleurs de cardamine qui parsèment le sous-bois, Rimski trouve une omoplate qu’il s’empresse de saisir et de mastiquer plus loin. Des os et des fleurs, ce pourrait être un peu funèbre de revenir dans ces parages dont j’avais rêvé un temps de faire un « site d’occupation néo-préhistorique » pour traumatisé conjugal (l’éphémère rubrique dite « Le Clan du Nant », dont j’ai repris quelques pages dans Pariétales, en est la trace). Je marche vers ces trous dans la roche qu’on avait ornés de peinture ocre et baptisés « l’abri mammouth ». J’avais alors imaginé former avec Léo, Clément et quelques invités, une sorte de société secrète où chacun recevait un « nom de la forêt et du torrent ». Nous avions bivouaqué, fait du feu, exploré, ils avaient joué dans ces parages, et puis ils ont grandi trop vite, le rêve a fait long feu, l’exploration s’est arrêtée. C’est en fait avec Rimski qu’elle a repris, finalement, dégagée de ce petit carcan de fiction inutile, et c’est pour cela que remonter le Nant aujourd’hui n’est pas funèbre.

Il n’y a pas que des os et des fleurs le long de ce torrent, mais un chaos de branches, de troncs cassés et de pierres qu’il faut escalader. On passe sans cesse d’une rive à l’autre, on s’accroche à des racines qui cassent et qui blessent, on glisse parfois sur un galet et l’on se retrouve avec le nez au milieu de ces bois flottés qui sont blancs et lisses comme des os.

L’abri, cette fois, je ne l’ai pas vu arriver, tant j’étais concentré sur le chemin. Le mammouth ocre rouge est toujours visible, et les traces de nos mains positives sur la pierre. Tout est propre, sombre au dedans, clair au dehors. Rimski se couche dans l’abri souris. Ce fut, lui dis-je, la dernière escapade de Patawa, mon épagneul guyanais, qu’il avait fallu porter parce qu’elle n’avait plus la force de se hisser sur les rochers, mais même alors (ce doit être la sagesse du chien dont je parlais hier) elle avait semblé éprouver le même contentement que lors de nos plus longues randonnées, ne se plaignant jamais, cherchant simplement ma présence avec un air un peu éberlué car elle n’y voyait plus très bien.

On escalade le ravin et l’on rejoint la route. Le grand cheval noir que j’avais photographié il y a quelques semaines broute au milieu du pré vert et les ouvriers s’activent sur le chantier de la future maison à côté du chenil. Les trois chiens de chasse hurlent rauque dans leur clapier. On passe bien lentement, à cause des bogues cruelles aux coussinets du chien.

02/05/22

 

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