Vigie, janvier 2019

 

 

 

Serviteur !

 

 

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L’hiver a serré son étau sur le village et la vallée. La neige et la glace nous tiennent en tenaille et le moindre regard porté sur le ciel noir donne la sensation d’un voyage intergalactique. Les cerfs, les chevreuils, les renards se rapprochent. La route aussi s’est resserrée, prise entre deux petits parapets de neige. Même au fond de la cave, perdu dans des rêveries d’île en été, on garde la sensation de cette énorme masse neigeuse de la montagne qui pèse sur le village, qu’on n’oublie jamais vraiment tout à fait, ce qui fait dire qu’habiter au Villard ne pourra jamais être tout à fait comme habiter dans une ville, même Chambéry où la montagne est encore bien présente. Quelque chose de l’inquiétude des bêtes sauvages parvient quand même à passer à travers les murs et le double vitrage − quelque chose comme cet éclair blanc de l’effraie qui est passée hier soir dans les phares au retour d’Hermillon, ou le regard hautain de ce cerf à la ramure immense qui marchait lentement devant la maison. On se souvient que le monde ne nous appartient pas, que ce que l’on croit avoir dérobé se dérobe à nous, que notre capacité collective à salir, à détruire, n’est pas preuve de force, mais que force reste à la nature.

Je suppose que ceux qui vivent au pied d’un volcan, surtout s’il est encore actif, connaissent cela au quotidien d’une façon évidemment beaucoup plus vive. Comme toujours, même l’expérience du sauvage garde ici, dans ces lignes, dans ce village protégé, quelque chose de domestique. Se souvenir du sauvage ne signifie pas qu’on y prétend, et, serrant dans mes bras le chat Musique qui rentre transis de sa promenade matinale et saute sur mon épaule pour que je le réchauffe, j’ai bien conscience de n’être comme lui que le produit d’étranges manipulations, une bête bizarre, à jamais immature, et nos faces aplaties signalent, paraît-il, notre condition domestique.

Domestiques aussi pour servir : lui pour me servir de bête thérapeutique, de doudou ronronnant, et moi pour servir quoi ? Pour servir qui ? − Pour vous servir des mots, des notes, des images (garçon un poème en sous-sol !), pour servir comme je peux et sans me dédire ce démon obstiné de mon désir de dire.

 

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