Vigie, octobre 2021

 

 

 

La défaite

 

 

octobre2021 14

 

La défaite ne me faisait pas peur, ni l’amertume
Et ni la peur. Je ne craignais que le mensonge.

Jacques Bertin

 

Comme octobre et comme la vie l’accordéon s’ouvre, l’accordéon se referme. L’enfant qui n’est plus un enfant a prononcé les mots fatidiques : j’arrête. Un jour peut-être il le rouvrira et, dans un souffle, se souviendra des espoirs de son enfance. Il retrouvera, qui sait, la tristesse de la Chaconne, la joie de la Badinerie, les déchirements de Piazzolla, la douleur d’« Impasse », toutes les émotions qu’il ne ressent pas, qu’il ne ressent plus, qu’il n’a peut-être jamais ressenties mais qu’il transmettait aux autres lorsqu’il jouait. Il pensera peut-être à nos lectures, à nos voyages musicaux, à notre complicité abimée. Il songera peut-être qu’un jour, aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, il avait pleuré en accompagnant son père sur un texte qui annonçait le temps où il devrait, lui, « continuer seul ».

Bien sûr je suis défait par une telle défaite, un tel gâchis, songeant avec quelle tristesse au petit prodige qui jouait pour la première fois en public « Frimousse » et ses petits morceaux d’alors – comme mon cœur battait fort ! Je pensais que ce pourrait être notre langage commun lorsque l’adolescence viendrait rebattre les cartes de nos vies.

Pour autant, et comme le chante Bertin, « je ne craignais pas la défaite ni l’amertume », seulement le mensonge ; et continuer en faisant semblant, jouer ainsi sans âme, sans émotion, sans passion pour la musique, devient mensonge. Parfois le mensonge – ou, disons, une certaine hypocrisie mêlée de docilité – sont nécessaires au début, le temps que l’enfant rencontre véritablement la musique, cela s’est vu souvent. Mais quand rien ne laisse entrevoir, par-delà la maîtrise technique, la possibilité d’une telle rencontre, il est sage et sain de jeter l’éponge.

Le vent s’est levé, des nuées de feuilles voltigent devant les fenêtres et les arbres se dénudent.

Léo arrête. Je continue.

Au tout dernier jour d’octobre cependant, lendemain d’Halloween, deux tout petits enfants qui s’étaient collés au portail pour caresser Rimski lui courent après dans tout le jardin parce qu’il leur a chipé une sucette (le grillage étant réparé j’ai pu le libérer, et faire entrer les petits). Bonheur des enfants qui tentent vainement d’attraper le chien blanc. Bonheur de Rimski qui n’aime rien tant que d’être poursuivi. Des cris de joie, des rires, les feuilles qui volent : c’est sur cette image-là que se referme ce chapitre d’octobre.

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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