Vigie, novembre 2021

 

 

 

Neige de novembre

 

 

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Troisième jour de neige, première balade vraiment hivernale. Ciel de neige d’un gris velouté extrêmement lumineux par endroits, très sombre à d’autres. Forêt féérique. Seul un chevreuil est passé par ici avant nous, dont on suit un moment les traces.

 

Quand on s’arrête dans la forêt on n’entend plus qu’un frémissement de grésil. Ce n’est pas parce que les oiseaux et les insectes sont gelés, ensevelis dans des terriers ou bien repartis vers les plaines ou le sud, qu’il règne soudain un aussi grand silence ; c’est seulement parce que la neige sacralise tout ce qu’elle touche et que chacun sent bien qu’il convient de se taire – même la pie bavarde et moi-même hésitons…

 

Les limites humaines sont désormais marquées par les petites murailles laissées par le chasse-neige, et à l’intérieur même de la zone encore accessible en voiture, la neige rend bien visible la différence entre les maisons abandonnées ou occupées seulement l’été, et celles encore bien habitées dont les accès ont été plus ou moins soigneusement déneigés.

 

C’est la première fois que je remarque le trou noir au cœur de ce grand châtaignier.

 

Le fil électrique trace une piste d’un blanc éclatant dans le ciel anthracite.

 

La neige tombée en avalanche à l’orée du bois fait bondir le chien qui m’entraîne dans une joyeuse dégringolade.

 

L’arbre aux pics plus que jamais est un totem.

 

Rimski retrouve son instinct de chien de traîneau, et je me laisse tirer, finissant sur les fesses dans la descente, comme un enfant hilare dans sa luge renversée.

 

Cette passerelle enneigée, nous sommes les premiers à la franchir.

 

L’eau du Gelon est noire, criblée de rochers blancs : un cincle ici serait invisible.

 

Des arbustes et des arbres se sont abattus sur le chemin désormais réconcilié avec la forêt qu’il traverse : plus de traces de pneus dans la boue, rien que ce long tapis blanc orné ici ou là de dentelles d’oiseaux, d’empreintes d’ongulés, d’aiguilles et de feuilles.

 

J’ai trop regardé vers le sol, cet automne ; je m’allonge au milieu de chemin et regarde les cimes. Rimski à mes côtés creuse, mord, tourne et se roule dans la neige, puis vient me lécher le visage en signe, je ne sais pas, d’affection, de reconnaissance pour toute cette neige dont il croit peut-être que je suis responsable, ou bien encore parce qu’il est impatient de continuer.

 

Par moments le chien familier redevient cet inconnu inaccessible, cet animal indifférent occupé seulement à suivre son instinct en flairant le passage de bêtes qu’il considère comme des proies ; par moments le monde familier redevient ce qu’il est, inhumain, opaque, indifférent au bipède qui le traverse et dont les traces seront vite effacées.

 

Puis soudain, deux chamois : le chien s’affole, ils détalent, et je garde en tête pour le reste de la journée leurs faces masquées, leurs regards inquiets et l’incroyable perfection de leurs silhouettes bondissant dans la neige.

 

29/11/21

 

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