Vigie, novembre 2021

 

 

 

La sonate de mon sentier

 

 

Vigie1121 05

 

 

Inlassablement je reprends le thème de ma sonate pour quatre pattes, deux pieds, une laisse, avec mêmes motifs et quelques variations. Au pied des tilleuls c’est l’automne le plus foisonnant, mais dans les arbres c’est l’hiver nu. Les vaches n’ont plus peur du chien blanc : elles accourent à son passage, elles le lèchent et il les lèche, aplati devant elles comme un drôle de veau angora, prêt à bondir. Elles-mêmes lui donnent parfois des coups de tête sans violence. Elles sont six qui l’entourent, il nettoie leurs naseaux. Il y a bien encore un peu de nervosité quand il fait mine de leur sauter au cou et qu’elles s’éloignent de deux pas, mais elles reviennent aussitôt et il se recouche à leurs pieds. Quatre langues parcourent maintenant son long poil blanc…

Je jette un œil vers la bicoque aux volets verts où une part de moi-même habite en rêve, surveillant les crêtes où la neige a fondu. Je traîne des pieds dans le chemin creux et ça fait un bruit de froufrou qui s’harmonise bien avec celui du torrent à main droite et la crécelle du geai. La couche de feuilles est maintenant si épaisse qu’on ne sent presque plus les cailloux du sentier. Le long des thuyas l’odeur de punaise de l’autre jour s’est dissipée, car l’air est plus sec, je pense. Tout le hameau de La Martinette baigne dans un parfum de noisettes, de noix fraîches et d’encens – mais que mettent-ils donc dans leurs cheminées pour qu’elles sentent aussi bon ? Deux chats accroupis dans le pré interrompent leur conversation muette pour nous regarder passer. Les traits blancs des bouleaux rayent l’ocre du sous-bois. À l’orée du bois, je retrouve le tout jeune hêtre aux feuilles vert tendre auquel j’ai consacré il y a quelques jours un poème qui s’est perdu, comme souvent (car je parle en négligeant de vérifier que le dictaphone est en route : un texte envolé, c’est un texte de moins à recopier ensuite, et comme le temps me manque…). C’était je crois le deuxième jour de givre, tout était blanc, et lui était là avec ses jeunes feuilles pour un petit printemps intime et décalé, tout seul et touchant ; ses feuilles ont à présent flétri et pris la teinte terne des arbres alentour. Je regarde les branches de houx tombées parmi l’amas des feuilles, un grand hêtre orangé et le long tapis mordoré qu’on a déroulé sur le sentier en mon honneur, qui sait…

Rimski suit son chemin d’odeur qui me déporte jusqu’à un amas de feuilles dans lequel un cerf s’est frotté – l’odeur est presque insupportable pour le promeneur mais semble ravir le chien qui ne se contente pas de la humer mais qui la mange, bientôt, en même temps que les feuilles.  Plus loin les dentelles du givre dans les flaques ont laissé place à la boue. Ça sent la fin, la fin de l’automne, la fin du mouvement, la fin de la sonate… Quatre ou cinq arbres nus qui brillent au soleil tout au bout du sentier semblent rouvrir les portes d’un nouveau morceau inconnu, accessible, à portée de parole.

 

12/11/21

 

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