Notes de Madère (été 2013)

 

 

 

MARÉE HAUTE, FIN DE JOURNÉE

 

M08bis

Le pêcheur pour l’heure n’attrape que des gerbes d’écume qu’il semble soulever avec soin depuis le creux des vagues, et ses gestes admirables s’accordent sans peine avec la rude beauté qui l’entoure.

Passe un grisard que deux sternes prennent en chasse.

Le soleil perce, qu’un nuage immense ravale aussitôt.

Tee-shirt et sandales orange, l’enfant écrase un caillou orange sur l’ocre du rocher.

Un poisson traverse les airs et finit en frétillant dans le seau violet du pêcheur.

L’océan, les deux enfants et le grand-père jettent des pierres avec la même obstination, la même absence de but. La haute falaise arrête et sirote les nuages tout au long de la côte nord de l’île, et nous arrête aussi.

Malgré le fracas, on l’entend quand même, le cri de l’enfant blessé.

Et toi là-haut qui ne pêches ni ne joues, ni ne cries, ni ne lances des cailloux, qu’est-ce que tu fabriques sur ton rocher ?

— Je prends des notes et je regarde ce qui me regarde.

— Pourquoi faire ?

— C’est sans raison. Le sable aussi prend des notes à chaque marée, et la grève, la côte, toute l’île.

— C’est un peu différent, quand même !

— Juste un peu. Ça nous rapproche quand même, le rivage et moi. Je reste assis là sur la mémoire sans mémoire d’un volcan, cette coulée de lave froide. Je m’épanche aussi discrètement sur cette page bientôt figée. Vague, volcan, sterne sur son rocher, rocher même et falaise, je regarde et je suis ce qui me regarde, je suis l’ombre et la lumière, l’écume, le vent, tout ce qui bouge, tout ce qui tremble, tout ce qui se fracasse, tout ce qui avance, tout ce qui recule, et le crabe qui attend, la sterne qui guette, les deux enfants, le grand-père, la mère et la fille, le crabe qui ronge, je suis surtout (ou je voudrais être) le goéland qui attrape le crabe, le dévore, le détruit… Alors enfin plus rien ne ronge, mais tout bouge, tout tremble, tout danse…

29 juillet 2013

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