Notes de Madère (été 2013)

 

 

 

 

INSTANTANÉS & PLANS SÉQUENCES

 sommet

À l’arrêt de bus la vieille femme se penche sur l’enfant en chantant d’une voix éraillée et en tapant des mains. Elle veut que l’enfant tape aussi. Elle insiste. Terrorisé, l’enfant se cache contre sa mère.

 

Aux premiers pas sur le col, le chapeau s’envole, qu’un passant le ramasse.

 

Deux lapins : l’un mort, écrasé sur la route, l’autre prostré sur le trottoir comme après un accident. Les enfants obligent le lapin vivant à regagner les buissons. Il zigzague un moment sur la route, forçant un bus à stopper, puis va se prostrer plus loin. Il est maigre, son œil coule, il rejoindra bientôt la cohorte des cadavres qui jonchent les chemins, emporté par les souffrances immenses de la myxomatose.

 

L’incendie de la forêt d’eucalyptus en 2010 — on se souvient encore de l’odeur !

 

De grands oiseaux blancs assemblés dans l’herbe jaune : les goélands.

 

À l’arrivée au Pic, la musique de Madère se fait celtique.

 

La boule blanche du radar, les terres nues, le roc — on se croirait aux Shetland.

 

Cette mer de nuages qui remplace la mer : un avant-goût du départ.

 

Ce voyage — quitte à en finir, autant que ce soit ici, au sommet.

 

À perte de vue, la courbure de la Terre.

 

L’île vue d’en haut : ce chaos de rochers, ces rouge, noir et jaune — cette vieille colère de vieux volcan apaisé.

 

Le Pétrel cendré de Madère qu’on observait hier en zodiac, et auquel une exposition est ici consacrée, est passé du statut d’espère éteinte à celui d’espèce fortement menacé : on se dit qu’on pourrait en finir là, sur cette note d’espoir mesuré ?

Pendant qu’on s’affaire aux bagages, les enfants jouent dans la piscine au cœur de cet été aussi large que la colline de Funchal. Encore un peu de vent dans les palmes, encore un peu de vagues dans l’âme, encore le cri du coq et le parfum extraordinaire des figuiers (mêlé à celui de la toile cirée).

 

Comme les poids d’une antique et très lourde horloge vont et viennent les cabines du téléphérique, qui montent et descendent et se croisent en silence au-dessus de l’autoroute.

Clément chante « Fais dodo, petit frère Léo — Je suis ton grand-frère Léo ! — Oui, moi aussi : je suis ton grand frère ! » Puis Léo chante à son tour une chanson brésilienne dans un portugais très phonétique que Clément déforme encore un peu ; on pourrait aussi, il faudrait terminer ici.

 

 

9 août 2013

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