Notes de Madère (été 2013)

FUNCHAL

 funchal

Nous voici aux loges d’honneur de ce vaste amphithéâtre de Funchal. La terrasse, la piscine, les deux palmiers royaux, les bougainvillées, le charme colonial d’une demeure luxueuse qui sent l’encens d’église et la naphtaline, la chaleur attentionnée, courtoise, cultivée, des propriétaires qui nous accueillent (elle, a écrit un livre sur l’esthétique de la fête des fleurs de Madère) — puis la course, les courses un brin cauchemardesques dans un centre commercial de la grande ville, l’errance à travers les parkings souterrains et les routes quasi verticales…

Le voyage s’arrête et reprend ici, apparemment plus doux (mais il faut se méfier de ce genre de douceur extérieure, de ce confort), plus urgent aussi car août est là et c’est la deuxième moitié du séjour, la redescente (même si on est plus haut). Après l’arrivée triomphale, ensoleillée, flotte à nouveau un malaise subtil, ainsi que les nuages.

Une rumeur de ressac urbain monte, cette fois, de la voie rapide. À perte de vue, des collines hérissées de maisons, de jardins, de terrains vagues, de palmiers amputés s’effondrant sur eux-mêmes (à cause, parait-il, de je ne sais quel insecte qui les ronge, et qui rappelle une autre sorte d’animal qui ronge aussi) — et l’océan comme une sorte de deuxième ciel horizontal. On entend, mêlés aux voitures, le son d’une flûte et la voix de quelqu’un qui chante ; parfois la musique semble s’éloigner, parfois elle semble toute proche.

Ici, c’est un peu le retour au Fort : les remparts, la vue d’en haut, mais moins séparée on espère que dans ce Fort de l’Esprit qu’on ne regrette pas.

Est-ce qu’ici aussi on entendra « le bruit que ça fait » ?

Les lumières de la ville s’allument, on souhaite la bonne nuit à Clément, qui demande : « Quelle nuit ? » Et puis : « Est-ce qu’on est encore à Madère ? », comme il demandait au restaurant, après avoir vu la nouvelle maison : « C’est encore une autre maison ? mais je ne veux pas rester là, moi, je veux retourner dans l’autre !… »

On regarde les lumières de la ville puis on entend les hurlements de Clément, qu’on retrouve prostré dans son lit, persuadé d’être tombé, et qui s’exclame en boucle : « Le lit tournait… tournait… Je suis tombé contre le mur et… c’est quel mur ? c’est quel mur ? c’est quel rideau ? c’est quelle chambre ?… » Son affolement se mue bientôt en une sorte de spectacle dont il finit par rire lui-même, après quoi il se rendort rasséréné. On n’entendra plus rien jusqu’au premier cri du coq.

 

3 août 2013

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