Notes de Madère (été 2013)

PENDANT QUE LE COQ S’EXCLAME

 

 

Encore une aube qui s elève sur l’amphithéâtre de Funchal, une aube presque sans nuages mais voilée quand même par les rêves de la nuit et la peur de voir le voyage s’enliser et s’achever.

Cette maison est bien un Fort, en lequel nous sommes coincés — trop en hauteur pour pouvoir vraiment nous mêler à la réalité de la ville : mes parents, hier, sont rentrés un peu défaits d’une tentative d’escapade. Le Fort isole. Le voyage aussi menace constamment de s’ensabler, il faut le dégager. On perdra du temps encore en détours, en corvées, à cause du pneu éclaté. Puis on tentera de nouveau l’escapade, vaille que vaille…

En attendant, levé tôt comme tantôt, je mets au propre les notes du voyage, et c’est un peu comme s’il était déjà terminé. Cela confère cependant une valeur un peu moins nulle à ces traces, traces du moment, traces aussi de la distance, de l’éphémère (il y en a une posée sur la vitre) et de la durée (dure), cela creuse déjà le dialogue entre les temps et les lieux — les mots de la côte Nord récrits ainsi depuis le Fort de Funchal.

Maintenant le coq s’égosille (il s’égosillera ainsi tous les matins même après notre départ, sans distinction, comme un coq, il s’égosillera de plus belle quand les flammes du grand incendie viendront lêcher la maison).

Maintenant les lumières de Funchal se sont éteintes. Il faut que j’éteigne la lampe à mon tour. Bientôt mes parents, Nathalie, les enfants me rejoindront.

Hier, comme nous quittions le Jardin Tropical, ma mère a dit (et c’est plutôt rare qu’elle dise ce genre de choses, la marque d’un émotion forte): « Moi, je ne le reverrai pas. » C’était sans amertume et sans tragique, un simple constat assez lucide, mais ces paroles me sont revenues ce matin au lever, et je les mâchonne depuis (six ans plus tard, relisant ces notes, je les mâchonne encore).

Ce Fort est, comme le Fort, un peu trop distant, trop exposé — on est juste au-dessus de la voie rapide, dont on entend continûment le vacarme. La douceur était au Nord, finalement — il y a ici quelque chose de plus dur, de plus amer à mâchonner. Et l’on mâchonne, pendant que les voitures filent et que le coq s’exclame.

5 août 2013

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