Notes de Madère (été 2013)

RETROUVAILLES

 

 M04

1. Une grotte sans ornements.

Sitôt franchi le seuil on retrouve cette douceur, cette légère sensation de flotter, ce vacillement, cet abandon du dormeur juste avant que le rêve ne l’emporte ou de Robinson réfugié dans l’oubli de sa grotte, ou encore du bébé serré contre le sein maternel. On s’enfonce à nouveau au sein de la Terre. Il n’y a en cette grotte ouverte aucune de ces traces humaines dont l’ancienneté et la beauté fascinent (l’occupation de l’île a de toute façon été bien tardive), mais tout de même les sculptures, les peintures, l’écriture d’avant l’écriture, d’avant la peinture et d’avant la sculpture tracées non par l’eau mais par la lave. On marche à l’intérieur des boyaux creusés puis rabotés par la lave. On est dans le ventre du volcan, force ancienne aujourd’hui endormie. On s’endort dans le ventre du volcan.

 

2. Retour dans la forêt brumeuse.

Premiers pas dans la forêt de lauriers, l’un des derniers vestiges (et le mieux conservé) de la forêt qui couvrait l’Europe il y a dix-mille ans, avant la révolution néolithique. Mémoires lointaine et proche, intime et collective se rejoignent en ce lieu où je retrouve aussitôt, marchant dans la bruine, transpirant sous la cape de pluie en compagnie de mes parents et de Nathalie (Léo est Éliton) en file indienne sur un sentier étroit, glissant, escarpé, les sensations de Guyane. Parfois un éclair perce la brume, et l’on entend au loin les rumeurs d’une fête. On célèbre, quelque part sur l’autre versant de la montagne, aussi bruyamment qu’il convient de le faire, certaines retrouvailles sans doute profondément nécessaires.

 

3. Regardant les images.

Au soir tombé on regarde les images du jour fixées à mesure par l’appareil photo numérique (tout va plus vite). On voit ainsi les souvenirs se former, se figer, on est déjà — et on le sait, et cela, dit ma mère, met mal à l’aise — dans la mémoire : cette journée, la première de notre retour à Madère est déjà passée, déjà devenue un fragment de mémoire, une image pareille à ces tombes à peine délimitées au cimetière de Saõ Vicente par une plaque qu’encadre un rectangle de fleurs. On délimite ainsi de mots, de fleurs, la tombe du souvenir — mais je m’étais promis de ne pas sombrer dans le sombre, de ne pas retomber dans des histoires de tombes et des jeux de mots faciles, alors disons plutôt pour éclairer au plus vite ce texte qui s’ombre si facilement, disons que les mots ici tracés puis, par la suite, recopiés (et modifiés) sur le clavier de l’ordinateur doivent servir de ferment pour redonner vie ou, mieux, donner vraiment vie à la ferveur alors vécue un peu voilée, trop vite envolée, toujours entachée quoi qu’on en dise de distractions, et que ces simples traces permettent alors de poursuivre le chemin avec plus d’allégresse, voire plus de nonchalance, puisque qu’on passe devant les ruines qui jouxtent la maison sans aucune tristesse ni serrement de cœur mais avec seulement le sentiment de les trouver bien à leur place, bien accordées à ce lieu rude et désolé, et d’être aussi là où il faut, bien à sa place, assis finalement face à l’océan, au carnet, à l’écran.

 

4. Océaniques.

Nuit noire. Rumeur du ressac à laquelle se mêlent des bribes de portugais. On rêvera cette nuit du Brésil ou de l’océan ; vieux goéland de retour sur son premier rivage on se réinventera une enfance, une adolescence, une existence océaniques.

28 juillet 2013

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