Notes de Madère (été 2013)

RECEVOIR LA BONTÉ

(Quinta do Crois)

Levé bien avant l’aube — la ville dans la nuit, illuminée, lointaine, d’abord silencieuse. Puis les bruits de voitures et les premiers cris du coq, des chiens. Des voix, de la lumière à l’étage supérieur qu’occupent les locataires italiens — présences fantomatiques.

On ira aujourd’hui à la cathédrale et au jardin des orchidées. Ce sera une bonne journée. (Comment en recevoir la bonté ?)

 

*

 

Crispation, ouverture, comme nuit et jour, comme toujours. Inspire — expire. De tensions et de détentes est fait, comme toute chose, le voyage.

Les nuages qui avaient envahi et presque occulté le ciel de l’île aussi bien se dissolvent,  et l’île est là qui émerge, plus réelle, plus douce et plus ronde que jamais. L’île est là, que l’on habite dans l’épaisseur du temps retrouvé, le temps des vieilles caravelles, le temps des échanges entre Japon et Portugal (ce magnifique « bureau » du XVIe en atteste). On traverse à pas prudent les pièces de la Quinta do Crois.

Par-delà les clichés de ces aristocrates transportés en hamacs et palanquins, par-delà le luxe de cette maison de vacances campagnardes, il y a ces pièces d’orfèvrerie, de marqueterie, qui témoignent des influences réciproques entre Orient et Occident — le Jésus représenté avec la douceur de Bouddha dans cette petite statuette indo-portugaise.

Il y a aussi ces photographies invraisemblablement travaillées (on croirait des images de Citizen Kane) où l’on voit des vignerons, des paysans figés autour de la récolte de canne, chacun à sa place comme pétrifié par la Méduse (dit Léo) — il y en a un qui a bougé quand même au fond —, vies envolées, monde disparu, présent quand même, et qui rend à notre présence son épaisseur car on se sent pris dans l’Histoire comme par un courant puissant en lequel on s’abandonne. C’est ainsi, ces hommes-là nous ressemblent.

À la cathédrale aussi, au couvent et face à toutes ces représentations religieuses, les plaies du Christ et cette vieille histoire de souffrance parlent encore : cette souffrance traversée, dépassée, à laquelle on revient cependant obstinément, ce sang qui perle aux plaies du Christ — Josette revient avec un orteil enflammé, le pied de mon père saigne aussi et Clément lui dit : « Toi aussi, on a essayé de te clouer à la Croix ? »

Puis on boit à la terrasse d’une maison de thé une infusion « aux herbes de la maison » avec pancake et cookies, porcelaine fine, belle vue, heure très douce, on se photographie là sachant qu’on n’y sera bientôt plus, emportés que nous sommes nous aussi dans l’Histoire, fantômes n’ayant laissé dans l’île nulle trace, mémoires habitées néanmoins désormais par la mémoire de l’île et ces images… ces images… toute la bonté perdue de ces images…

7 août 2013

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