Notes de Madère (été 2013)

 

 

 

 

CIEL BROUILLÉ, CIEL LIMPIDE

Au petit matin, le coq qu’on a nourri déploie son cri juste sous nos fenêtres, et le chat, une fois son bol de lait lapé, me considère longuement, avec méfiance. Horizon brouillé, ciel limpide. Clément, dans la nuit, a tant pleuré qu’il a réveillé son frère — manière de protester contre notre escapade d’hier soir, à laquelle il aurait voulu se joindre ?

Ciel limpide, horizon brouillé. C’est aujourd’hui que l’on quitte l’île, en emportant avec soi, en soi, sa transposition intime de mots et de mémoire, que l’on continuera sans doute d’explorer, en laquelle il nous faudra chercher, puiser, retrouver les trésors de tendresse enfouie lorsque ce sera devenu nécessaire (et ça l’est déjà).

Il faut ainsi peu à peu se créer un archipel intérieur / extérieur, fait de tous ces lieux qu’on a suffisamment arpentés pour pouvoir, en fermant les yeux, en retrouver les courbes, les arêtes, les pics, les baies, les routes, les chemins — tous ces lieux dispersés à propos desquels on finit par dire « chez nous » plutôt que « là-bas », parce qu’on n’a pas fait que les traverser mais qu’on y a, qu’on les a, pour un temps habités. Ils sont notre vraie demeure, dont nos livres ne font que dresser la carte, cerner la cohérence, et offrir peut-être la possibilité d’une visite intime, d’un partage, à d’autres que nous — manière d’inviter, en hôte aussi attentionné que possible je l’espère, le lecteur à s’interroger (et toi, où est-ce que tu habites vraiment ? quel est ton lieu ? quelle est ton île ? est-ce que tu te souviens ?) et à faire revivre dans le silence de la lecture ces images, ces visages liés au lieu, et dont la disparition nous demeure (même si on continue à espérer un jour parvenir à ne plus s’en attrister) insupportable.

 

10 août 2013

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