Vigie, juillet 2023

 

La vie dans les bois

 

 

Cliquetis. Croassements. Vrombissements. Chat tapi. Tracé blanc dans l’air blême hésitant.

Cliquetis plus rapides. Vingt vaches montrent leurs fesses, et un seul veau sa face. Une branche morte git au sol, dix-mille bien vivantes tremblent dans l’air tiède.

Cliquetis paniqués. Ici les fleurs de châtaigniers ont tracé partout sur le sol leurs logogrammes jaunes, puis c’est un véritable tapis de chenilles jaunes qui ondule à mesure qu’on avance, c’est terrifiant surtout quand on s’approche, c’est la fin du monde, les chenilles nous attaquent, les aliens ont pris possession du sentier !

Plus un cri. Les maisons endormies laissent béantes leurs fenêtres qui donnent sur la nuit. Une voiture bleue et deux chats habitent la petite maison aux volets bleus. Les reines des prés, les onagres à grandes fleurs jaunes et les bouillons sont nos balises, qui maintiennent la nuit vert sombre de la forêt à distance.

Des éclats de voix dans le bois. Un campement. L’odeur d’un feu. Des rumeurs de machettes là-bas dans les taillis. On bifurque. On fait un grand détour pour surtout ne pas approcher car ce n’est pas normal, ces présences humaines dans les bois. On est chevreuil, renard, on est loup, on est prudent.

Tapi, chat fou, renard et loup, peur diffuse vers la combe où l’eau du torrent forme un nuage de vapeur. On bifurque, on s’égare, attaqué par les taons on tombe finalement sur le camp qu’on voulait éviter, toute une troupe de scouts affairés au foyer, au torrent, au ramassage du bois. Autour de la grande maison de l’ancienne centrale, on a monté des tentes. Deux jeunes hommes rabotent du bois, un garçon en béret s’en va sur le sentier les deux mains dans les poches pendant que d’autres palabrent en cercle au bord de l’eau. Il y a de la fumée qui passe entre les branches, des appels, toute une vie nouvelle. C’est un peu guerrier, sans doute, un peu conquérant, on taille dans les taillis, on construit des cabanes, mais il en restera quand même plus tard bien des sensations, et ces garçons qui s’initient ainsi à la vie dans les bois garderont à jamais la mémoire du feu, du torrent, des taons, d’un autre temps ! Ils saluent poliment le passant au chien blanc, qui leur rend leur salut.

Cliquetis dans le crâne. La piqûre de rappel d’un taon. Les jambes griffées. La fuite dans les ronces. La vie dans les bois.

 12/07/23

 

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