Vigie, juillet 2023

 

Attente en été

 

 

C’est un temps étrange que celui de l’attente, intense et compact comme un poème enchâssé dans la prose. Il y a certes des surprises qui peuvent être comme des explosions existentielles : à l’instant, par exemple, m’a stupéfait l’irruption dans mon champ de vision, rouge sur vert, de cette étoile de mer monstrueuse d’un champignon Clathrus archeri, l’Anthurus d’Archer (ou Doigts du diable, Champignon pieuvre…), dont j’apprends qu’il est originaire d’Australie et s’est répandu en Europe depuis 1920 (je suis resté un moment à regarder cette trouvaille qui, dès demain, aura disparu, en me bouchant le nez à cause de l’odeur de charogne qui s’en dégage) ; et il y a aussi ces surprises qu’on vous prépare pour une fête et que je sais apprécier (l’une des plus belles me fut donnée à l’Orgère, un jour de juillet, que je ne peux plus revivre qu’en rêve puisque sa réitération supposerait que l’on me ressuscite ma mère).

Mais contrairement à la fusée d’artifice de la surprise, l’attente plus longuement s’immisce dans le quotidien en lequel elle diffuse finement son parfum triste ou heureux. Évacuons les attentes douloureuses, je ne voudrais pas plomber ce beau matin d’été : l’attente de résultats médicaux qu’on sait mauvais, l’attente de la séparation, des bombes ennemies, de l’explosion fatale, du craquement final, de la mort. Je préfère songer à celles si chargées en bonheur de la naissance de l’enfant (quand même mêlée de crainte), des rencontres ou des retrouvailles amoureuses, ou de ces concerts vraiment désirés que l’on note des mois à l’avance dans l’agenda et qui balisent l’année.

Il y a encore l’attente du printemps, de l’automne, de l’hiver, de l’été, l’attente du matin pendant une insomnie, l’attente du crépuscule un jour de canicule… Et puis il y a l’attente de l’examen ou du concours, puis de ses résultats, attente ancrée dans la jeunesse et qui vous marque à vie puisque, des décennies après, il arrive qu’on rêve encore de ces épreuves qui font presque office pour nous de rites de passage. Je me souviens de ce grand vide qui avait succédé à l’annonce du résultat de ma réussite à l’agrégation, de ce soulagement voilé déjà d’une forme de nostalgie : « voilà, cette attente-là est à jamais derrière moi » (faut dire que la préparation m’avait passionné).

Aujourd’hui, j’attends les résultats du Bac de Léo. L’issue ne fait guère de doute, et préoccupe si peu le principal intéressé qu’il avait prévu de partir en montagne dès hier soir et n’a remis son escapade à aujourd’hui que pour des raisons d’intendance. Lui-même en ce moment n’attend pas, mais dort d’un sommeil de chat domestique – mais ce moment-là, je veux pour ma part le savourer, parce qu’il marque l’aboutissement d’une stratégie risquée (l’extraire du lycée où il dépérissait pour lui permettre de préparer en autonomie totale, enfermé dans sa chambre pendant un an avec le CNED et les chats) ; parce qu’il est une borne qui marque symboliquement la fin de son enfance, de ces seize ans passés dans la maison parentale qui ne sera plus jamais comme avant sans lui (comme j’ai bien fait de prendre un chien, me dis-je en tentant de calmer ce dernier qui vient de voir les chevreuils).

J’ai calculé l’itinéraire de ma promenade pour que le moment du retour coïncide avec l’annonce des résultats, à neuf heures. Les hirondelles voltigent dans le ciel sans nuages. Un bruant zizi ponctue notre marche de son chant monotone. Je m’offre le luxe de traîner, de faire un détour dans le bois pour voir si les girolles sont sorties, de faire mine de ne plus penser à l’objet de mon attente comme un chat se détourne de l’oiseau qu’il va attraper – et puis, dans la montée finale, le souffle court, défiant la gravité, le soleil de face et le manque d’entraînement, je pique un sprint…

 04/07/23

 

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