Vigie, juillet 2023

 

Étrange automne

 

 

Depuis le passage de la tornade le temps est d’un étrange automne, avec toutes ces feuilles chues sur la route et le chemin dont les couleurs sont pourtant celles, vert sombre, du plein été. La température a chuté de dix degrés, et l’on voit bien que la forêt peine à se remettre. Les arbres y ont laissé des feuilles, les escargots des coquilles, les oiseaux des plumes, les mammifères des poils : on en trouve des touffes ici ou là, et des cadavres de rongeurs assommés ou noyés. On se fraye un passage sous les arbres abattus qui recomposent un nouveau parcours. Ainsi cette petite catastrophe finit-elle par participer à ce renouvellement des perceptions qui nargue le possible ennui de la répétition.

Il faut reconnaître que je n’avais encore jamais vu le sentier tel qu’il est depuis avant-hier. On dirait que des millions de fourmis manioc sont venues découper les feuilles et les ont abandonnées précipitamment sur le sol au lieu de les emmener dans leur fourmilière pour servir de compost – j’ai vu un tel travail de découpe dans la forêt guyanaise, ne manquent que les fourmis. Plus loin, les feuilles qui sont restées entières évoquent plutôt une sorte de grand herbier qu’on foule aux pieds en étant tenté de noter : chêne, frêne, châtaignier, sureau, etc.

Les précipitations brutales ont regonflé le torrent qui a pris une couleur brune et rempli les ornières. Un rapace invisible lance son misérable cri d’oisillon perdu, alors qu’il s’agit vraisemblablement d’une grosse buse adulte. Puis le soleil parvient jusqu’au fond de la combe et tous les verts se rallument. Les ronces détrempées luisent comme des plantes grasses et l’on sent les balsamines impatientes se redresser, comme stimulées plus encore par les puits de lumière laissés par les feuilles arrachées et les chablis.

26/07/23

 

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