Vigie, juillet 2023

 

Une rencontre

 

 

La maison qu’occupent Fabrizio et Laure avec leurs deux enfants est un havre avec vue sur la vallée, la même que la mienne mais vue d’un peu plus bas et sous un autre angle. Pour s’y rendre il faut emprunter ma « route ordinaire », la D207, puis autre qui va s’amenuisant comme pour une ascèse. Rien d’austère cependant, mais quelque chose de chaleureux, de familial, de lumineux, de rassurant… (Rassuré, j’ai besoin de l’être puisque je sors de chez moi à la rencontre d’un inconnu qui m’intimide un peu, car je l’ai trouvé sur scène assez impressionnant, avec sa contrebasse, son ordinateur et les images vertigineuses du film sur Berlin.) Dans le séjour la présence d’un circuit de train électrique me rappelle à l’enfance, témoignant de la présence du petit garçon qui n’est pas encore arrivé mais dont j’apprécierai bientôt la gouaille bilingue, et me rappelle aussi que c’est d’abord une image de train associée à la contrebasse qui m’a fait prendre cet embranchement pour Presle, à deux pas de chez moi.

On m’a dit que Fabrizio, dit Abi, était un peu ours, et moi je suis assez chauve-souris : la rencontre pourrait être difficile entre bêtes discrètes et plutôt souterraines ; mais il n’en est rien. Je découvre quelqu’un de simple et de spontané qui dégage quelque chose vif, dans son désir à la fois de retrait et de recherche, d’exploration solitaire et d’exposition, et cette alternance entre ouverture et fermeture que je connais par cœur – systole, diastole, dira-t-il. Il me raconte l’immersion dans la ville et la musique à Bruxelles, puis la saturation qui s’en est suivie et l’a conduit à rompre avec cette vie pour une autre, plus paisible mais pas moins intense, en ce lieu. Il me raconte comment, après cette assez longue période de pause, il en revient à ses projets d’avant, ses idées de paysages sonores. « On vit sa vie en spirales, on revient toujours au même point mais vu différemment », j’ai dit cela souvent mais c’est lui qui le dit.

Bientôt nous descendons dans sa cave musicale, plus lumineuse que la mienne, peuplée de guitares, de claviers, d’écrans, de livres, et où trône la contrebasse (je crois qu’il y a aussi un alto sur le mur). La musique aussitôt me déplace dans une grotte partiellement sous-marine, je crois que c’est la grotte Cosquer, bruits d’eau dans le noir, clapotis, ressac, une chauve-souris traverse, puis soudain la grotte devient un tunnel d’où jaillit un train. Je retrouve tout ce qui m’a enthousiasmé lors de la projection, cette musique en elle-même tellement visuelle qu’elle génère spontanément des images mentales. On parle de grottes et de rêves, j’évoque mon propre travail sur l’écriture en mouvement, « c’est incroyable de rencontrer quelqu’un avec qui on peut ainsi échanger, à deux pas de chez soi ! » (je ne sais plus qui le dit en premier). L’idée de faire quelque chose ensemble, lecture musicale autour d’Entre deux gares par exemple, s’impose d’elle-même, perspective qui me réjouit infiniment tant je suis resté nostalgique des lectures que je faisais avec Léo.

L’enfant et Laure sont rentrés, on parle de plantes et d’odeurs (de celle de la rue des, cette espèce de buisson dont le parfum affole mon chat Musique). On se promet de se revoir. Je quitte ce havre de Presle avec un coffret de DVD de Fernand Deligny et le sentiment qu’une fois de plus la vie m’apporte ses cadeaux quasi à domicile, sans véritable intervention de ma part.

 07/07/23

 

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