Vigie, juillet 2023

 

Emploi du temps

 

 

Regardé hier soir avec Clément les premiers épisodes de Star Trek Strange New Worlds, deuxième saison – du bon Star Trek bavard, moralisateur, généreux, bien dans l’esprit de la série originale – pendant que Léo fêtait sa réussite labellisée AB dans un refuge de montagne avec ses amis d’enfance, River et Martin. Le grand ciel pâle de huit heures n’est plus traversé d’attente, seulement parfumé de tilleul et de menthe. Le soleil éclaire le petit bouleau qui pousse sur la grande souche du châtaignier et qui a bien grandi. Je photographie les champs jaunes sur fond gris, recherche en vain le champignon-pieuvre d’hier, me rabats sur la contemplation de petits champignons en forme d’ombrelle chinoise très élégants.

À présent que le temps de l’attente s’est momentanément refermé, c’est le temps de la réalisation qui doit s’ouvrir. On terminera ces prochains jours l’atelier d’Élodie, ne restent que le lino à mettre et une trappe à fabriquer, puis ses meubles à monter ; après quoi j’attaquerai le bureau, peut-être le séchoir. J’aurai quelques textes de circonstances à mettre au propre, puis il va bien falloir me lancer dans l’écriture du nouveau livre que j’ai intitulé Dans ma mémoire indienne. Comme toujours je redoute ce moment autant qu’un gamin frileux l’eau noire dans laquelle il s’apprête à sauter. Une fois que je serai dedans tout ira bien, j’ai l’écriture heureuse. Le peu d’écho accordé pour l’instant à Entre deux gares devrait me décourager de repartir pour de nouvelles séances d’un travail douloureux pour le dos et les poignets et qui va me priver d’autres plaisirs, mais je sais que si je ne le fais pas, l’idée du livre restera dans mes veines comme un caillot, ce qui est dangereux. Je me replierai dans ma coquille, comme ce bel escargot de Bourgogne qui m’arrête au milieu du sentier.

Écrire, c’est sortir lentement un tentacule puis l’autre, étirer son corps et puis repartir pour une lente glissade consentie. L’indifférence du monde ? Juste une mouche qui se pose un instant sur l’une des cornes qui rentre aussitôt, puis ressort – après quoi on repart.

En vérité, indépendamment de l’écriture, cet escargot me fascine. Le contraste entre la pesanteur brinquebalante de son énorme caravane (qui, même sans virage, menace de verser) et la glissade imperceptible, légère, gracieuse même, du coussin de bave sur lequel le gastéropode est monté, force l’admiration, tout comme la spirale luisante de sa coquille brune striée de traits blancs. Une merveille. Depuis que je l’observe, Helix pomatia s’est remis en route vers les taillis à la vitesse approximative de neuf mètres par heure. Il semble à la fois pressé et confiant – puisque l’inquiétude chez lui se traduit par un mouvement de rétractation aussi efficace face à la plupart des dangers qui le guettent que la stratégie des hérissons face aux voitures (qu’on ne se moque pas, en matière de déni notre espèce reste imbattable). Si c’est un escargot savant, il est peut-être au courant de ce que « l’importante menace de disparition » qui pèse sur lui a conduit à un décret audacieux qui, depuis 1979, « interdit son ramassage du 1er avril au 30 juin » (quelle farce) et, donc, l’autorise du 1er juillet au 31 mars « seulement pour des escargots dont la coquille a au moins trois centimètres de diamètre » – ce qui est son cas.  (Qu’on puisse avoir seulement eu l’idée de le manger et d’en faire commerce, me dépasse…) S’il n’y avait Rimski qui s’impatiente au bout de la longe, je resterais à le regarder atteindre les orties, ainsi que je l’ai fait souvent lorsque j’étais enfant (grand enfant même, car sans parler du temps lointain des courses d’escargots auxquelles je me livrais dans la petite enfance, il me revient en mémoire une très longue séance de contemplation d’un superbe spécimen dans le jardin des Vellats, alors que je devais avoir plus de vingt ans – en cherchant bien dans les archives je retrouverais des traces de ce moment) ; mais il faut concilier tous ces rythmes différents, celui de l’escargot et celui de Rimski, ainsi que toutes ces tâches à accomplir pendant l’été.

D’aucuns se réjouissent d’aller visiter des régions plus ou moins lointaines (ce que je comprends), je me réjouis quant à moi de n’avoir aucun départ en perspective (hormis l’installation finale de Léo à Tours fin août), et donc tout loisir de faire ce que je dois faire.

L’emploi du temps d’été commence à se mettre en place. D’abord, la promenade avec Rimski : à peu près toujours le même itinéraire, mais qui permet des variations (aujourd’hui, on fait le détour par la centrale, au-dessus de laquelle a été aménagé un nouvel escalier plus commode que l’ancien). Ensuite, l’accordéon, auquel je reste fidèle, comme Léo reste fidèle à ses amis d’enfance (je jette vers les crêtes un regard de connivence) et un rapide petit-déjeuner. Puis ce sera le temps de l’écriture, car c’est le matin que je suis le plus disponible, entre neuf heures et 13 heures, le repas avec les enfants, la cérémonie du café, puis les travaux manuels chez Élodie de 14 heures à 18 heures. Retour à la maison, douche et cuisine, repas du soir, lecture ou film avec les enfants. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que les travaux et le livre soient terminés – après quoi relectures, finitions, autre livre et autres travaux, je pourrais me passer de ces derniers mais ils me permettent de garder un contact avec la matière et me donnent l’impression d’être utile…

Voilà pour mon emploi du temps d’escargot.

05/07/23

 

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