Vigie, juillet 2023

 

La mer, les scouts et le mulot

 

 

Au matin suivant c’est la Bretagne qui est venue à nous. Le ciel est une mer grise qui crache ses embruns. Les pies s’esclaffent comme des mouettes et le vent regonfle les voiles du voyage. Les corneilles dans la brume, le chemin sombre, les fleurs du liseron refermées en tubes blancs, l’horizon barré, le bruit de pas sur le gravier comme entendu de très loin, le grand pin penché, les hautes herbes pliées comme une marée figée, la femelle chevreuil qui passe dans le grand champ avec ses deux faons : tout se nimbe à nouveau de cette sensation de lointain qui donne envie de repartir, de préparer son sac et de marcher longtemps.

J’évite cette fois le chemin du bas pour ne pas me retrouver au beau milieu du camp scout, mais c’est encore raté : sur le site de la centrale, une bonne cinquantaine de garçons sont rassemblés, torses nus, pour la gymnastique du matin. Il y a aussi un prêtre en robe noire, image d’un autre temps… Comme je passe aussi discrètement que possible, tous les garçons se mettent à courir devant nous, pour le plus grand bonheur de Rimski qui n’en revient pas, qui fait des bonds sur place, qui frappe le sol avec ses pattes avant pour clamer son envie de jouer et de courir lui aussi, provoquant les rires des garçons qui, cent mètres après, s’arrêtent pour faire des exercices, tractions, étirements. Je bifurque et retrouve mon chemin solitaire, tout boueux. Je ne sais trop que penser de cela. Enfant, adolescent, je n’aurais pas supporté d’être dans un tel groupe (ni dans aucun autre d’ailleurs…), avec le virilisme qui s’en dégage, cet arrière-plan idéologique teinté de christianisme et de survivalisme quasi guerrier ; mais je ne connais rien au scoutisme, ce ne sont peut-être que des préjugés, et je ne peux qu’apprécier la courtoisie et le sens du collectif qui animent ces jeunes gens, qui vivent sans doute ici des expériences fortes. À choisir, je trouve qu’il est préférable de courir dans les bois sous la pluie à sept heures plutôt que de dormir dans une chambre jusqu’à dix heures après avoir passé la nuit devant un écran…

Plus loin, dans une descente bien glissante, un animal fait de grands bonds sur le sentier – le mot qui me vient en tête est « gerbille », mais il s’agit sans doute d’un mulot sylvestre qui progresse aussi par bonds mais qui, lui, vit chez nous… Rimski l’a vu également, qui fonce comme un fou. C’est la pire configuration, je ne peux pas le retenir et l’on frôle l’accident (ce qui après tout ne serait pas très grave, avec tous ces scouts formés, je suppose, au secourisme…).

La mer, les scouts et le mulot : c’est déjà trop pour aujourd’hui, il est temps de rentrer.

13/07/23

 

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