« Je dors en Bretagne ce soir » (1996-2021)


Vendredi 20 août 2021
. Repartir sur le Patron Morin, c’était sans doute tenter d’effacer le désastreux souvenir de la dernière fois, tout en embarquant cette fois Clément. La promenade cette fois est paisible, sur une mer étale qui, en comparaison, permet de comprendre que celle d’il y a onze ans ne l’était pas du tout. Dans le bateau on parle des éoliennes, pour en dire du mal comme cela semble être l’usage, en intégrant cependant des arguments écologiques que je peux entendre puisqu’il s’agit de la nidification des craves, mais que d’autres sources consultées après coup réfutent… On parle de l’évolution de l’île, des tensions qui l’agitent, des problèmes liés à l’immobilier et au tourisme ; puis on s’oublie dans la contemplation des phares et de la côte.

Au retour, on se baigne encore dans l’eau froide. Je passe devant la maison de pêcheur que nous occupions il y a onze ans, dont le portail fait grincer un souvenir de carriole et de petit enfant, puis je pédale de toutes mes forces vers cette autre maison qui est devenue nôtre. Le vent agite les géraniums roses à la fenêtre ouverte. Les pleurs d’un enfant qui est tombé de son vélo laissent place aux cris des goélands. Le raclement régulier du lave-vaisselle ne couvre pas tout à fait le grondement continu de l’océan.

Puissent de tels lieux perdurer, malgré le tourisme de masse, la pression immobilière qui en chasse les natifs, les pollutions multiples induites par la proximité de cette autoroute à bateaux qu’est le rail d’Ouessant. Ce n’est pas seulement l’ardoise grise des toits et les façades blanches usées des demeures qui s’accordent avec le gris-blanc du ciel : c’est l’homme et le monde qui semblent se retrouver dans ce bateau immobile de l’île.

Le vent fait bouger les voilages en dentelles et, plus loin, les voiles. Là-bas les hortensias rose pâle ont commencé à faner. Un jeune garçon s’éloigne sur sa bicyclette. Nous aussi nous éloignons bientôt. Bagages posés devant la porte. Dernier repas dans le jardin. Ultime promenade autour de la crique aux phoques. L’été s’achève sur ces adieux.

*

De la traversée du retour je garde en tête cette seule image d’un enfant qui, accoudé, comme moi, mais bien trop grand pour avoir encore une tétine pendue autour du cou, regarde la mer, puis, soutenu par son père, traverse le pont : ce n’est pas l’image du handicap qui me fait pleurer, mais la tendresse infinie avec laquelle ce père soutient son enfant.

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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